Hommage à Laure Moghaizel

A l'occasion de la journée internationale des femmes
Mardi 12 mars 2019

A l’occasion de la journée internationale des femmes, la Pastorale du Campus des sciences humaines (CSH) a organisé une table ronde à laquelle ont participé le recteur, Pr Salim Daccache, Mme Patricia Rached, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation et Mme Nada Moghaizel, déléguée du Recteur à l’Assurance qualité et la pédagogie universitaire. Les interventions ont porté sur le rôle de la femme qui conjugue vie familiale et professionnelle, ainsi que sur la contribution de l’Université à la promotion de celle-ci. La Pastorale du CSH a rendu hommage à Laure Moghaizel, figure féminine libanaise qui a marqué l’histoire moderne par son engagement qui a en effet induit des changements fondamentaux en faveur de la femme libanaise, arabe voire internationale en matière de droit et de lois. Un trophée a été remis à sa fille, Nada, qui a tracé le parcours de sa mère dans le discours qu’elle a prononcé.  

 

Mot en hommage à Laure Moghaizel (par Nada Moghaizel-Nasr)

Laure avait 17 ans. Votre âge, à peu près, quand elle s’est fait cette promesse : donner un sens à sa vie, en abrogeant de la législation libanaise, les textes discriminatoires à l’égard des femmes.

Elle s’inscrit alors à ce qui s’appelait l’Ecole de droit de l’USJ, avec un objectif bien plus exigeant, bien plus ambitieux que celui d’avoir un diplôme. Elle s’inscrit dans l’objectif de travailler à plus d’égalité entre les humains.

Au cours de sa troisième année à l’Ecole de droit, elle extrait de la législation libanaise tous les textes discriminatoires envers les femmes.

Elle consulte les législations arabes et occidentales, ainsi que les instruments internationaux (chartes, conventions, et recommandations) pour avoir des outils de référence sur lesquels s’appuyer.

Puis elle conçoit une stratégie globale pour atteindre son objectif.

Cette stratégie, aura été, avec son amour pour Joseph, le fil conducteur, la grande constante de sa vie. De 1947 à 1997, 50 années durant, vraiment jusqu’à son dernier souffle, elle est fidèle à sa promesse.

Cette idéaliste est la personne la plus pragmatique, la plus organisée qui soit. Vision globale et politique des petits pas. Stratégie d’ensemble et sens du détail. Méthodologie rigoureuse, organisation sans faille et persévérance. C’est ainsi qu’elle est un moteur pour le changement de 10 lois et la ratification par le Liban, de la Convention internationale des droits des femmes, dont les articles sont plus forts que les lois nationales et qui exige du pays signataire d’assurer les conditions de leur exercice :

  1. Loi électorale
  2. Egalité successorale
  3. Droit d’option pour la nationalité
  4. Liberté de circulation
  5. Elimination des sanctions concernant la contraception
  6. Homogénéisation de l’âge de la retraite
  7. Capacité de témoignage de la femme
  8. Capacité de la femme mariée à exercer le commerce
  9. Droit de la femme membre du corps diplomatique d’épouser un étranger sans être rappelée à l’administration centrale
  10. Capacité de la femme mariée en ce qui concerne les contrats d’assurance vie

Elle lutte, sans l’obtenir de son vivant, pour le droit de la femme libanaise à transmettre sa nationalité à ses enfants et pour le mariage civil. A sa mort, et pour lui rendre hommage, la loi relative au droit dit d’honneur est modifiée.

Laure procède par étapes. Une seule revendication à la fois, choisie selon sa priorité et ses chances de succès. Pour chacune : constitution d’un comité multiconfessionnel qui se transforme en groupe de pression, rédaction d’un document simple et clair, contenant motifs justificatifs, comparaison avec d’autres législations et références internationales, puis  proposition concrète de texte de remplacement. Article 21 : « Ne peuvent voter, ni élire que les Libanais inscrits sur les listes électorales des Libanais hommes ». Elle propose d’y ajouter deux mots seulement : « et femmes ». C’est tout. Après cela, s’organisent les rencontres pour convaincre ministres et députés, les conférences, les débats et communications dans les médias.  

Pour Laure, changer les lois ne suffit pas. Les gens ne peuvent réclamer un droit qu’ils ne connaissent pas. Surtout les humbles, les moins privilégiés, ceux-là mêmes qui lui importent

الأقل حظا و الأكثر حاجة.  Elle fonde alors des boutiques du droit, qui assurent des consultations juridiques gratuites. Elle rédige des guides, simples et clairs, à son image, écrits pour les gens pas pour les juristes.

Une vie entière, pour le respect d’une phrase, évidente en apparence, de l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit ».

Une autre phrase de cette Déclaration pour laquelle elle se bat. L’article 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sureté de sa personne ». Elle organise des marches du Nord au Sud du Liban, des collectes de sang, des chaines humaines, une nuit blanche place du Musée, tout près d’ici, et bien d’autres initiatives réclamant la paix civile quand la guerre confessionnelle tue le pays et ses enfants.

Persévérante jusqu’au bout de la vie. Quelques semaines avant sa mort, elle publie un livre testament, consignant ce qui reste à accomplir, elle se fait élire à la Commission internationale des droits de l’homme des Nations Unies et classe ses affaires pour ne pas nous déranger.

Cette militante très ferme, très forte pour réclamer les droits, est une grande passionnée, une amoureuse, une femme très douce et sensible, très élégante et parfumée. Elle est une maman de cinq enfants, un cordon bleu.

Avant de vous quitter, j’ai quelques cadeaux de retour à vous offrir :

Cette phrase qu’elle m’a dite et qui a forgé ma boussole intérieure: « Les droits de l’homme c’est à la salle de bains que l’on commence à les appliquer ».  C’est- à - dire que le respect de l’autre c’est le respect de chaque autre, à chaque instant, à chaque endroit.  

Et puis aussi, cette phrase de Sénèque qui la portait : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne les changeons pas, c’est parce que nous ne les changeons pas qu’elles sont difficiles ».

Sur l’affiche d’une organisation internationale figure une mappemonde avec des empreintes de mains. A l’image de cette ancienne étudiante de chez nous, laissons des empreintes dans les lieux où nous passons. Pour le pointillisme, ce courant de peinture, les images sont constituées de tout petits points qui tranquillement s’assemblent. Rendons les choses plus faciles en essayant de les changer, dessinons des points, si petits soient-ils. Avec ceux des autres, ils dessineront une image. Laissons des empreintes.