« Si la jeunesse part, c’est l’avenir qui part » : l’appel à l’aide de l’USJ

Samedi 6 mars 2021
Collaborateurs


Cérémonie de remise de diplômes sur le campus de Mar Roukoz : l’éducation universitaire est en danger. Photo Michel Sayegh

Par Fady Noun, in L'Orient - Le Jour, samedi 6 mars 2021

L’Université lève des fonds pour répondre aux besoins sociaux aiguisés par la pandémie et les explosions du 4 août.

L’Université Saint-Joseph (USJ) vient de lancer dans l’urgence, par les soins de la Fondation USJ et en collaboration avec la Fédération des anciens, un appel aux dons pour les Fonds de bourses dans le cadre de la campagne « Donner pour éduquer ». Cette campagne a pour objectif de lever des fonds pour soutenir les étudiants rendus financièrement vulnérables par les effets combinés de la crise économique, de la double explosion du port et de l’épidémie de Covid-19. Le montant total collecté, à ce jour, est de 5,4 millions de dollars, alors que les besoins sont évalués à plus de 7,5 millions.

L’Université Saint-Joseph compte, bon an mal an, quelque 12 000 étudiants. Près de la moitié d’entre eux bénéficient de facilités financières, bourses où prêts. Bien que largement anticipés, les besoins des étudiants ont commencé à augmenter en 2021 avec la crise bancaire qui a appauvri les Libanais et entraîné une hausse du chômage. La pandémie a suivi. Après la double explosion du port de Beyrouth, le 4 août, l’urgence a augmenté de manière exponentielle. Plus de 1 528 étudiants et familles d’étudiants ont été affectés par ce drame et 125 d’entre eux identifiés comme ayant besoin d’une aide financière supplémentaire.

Justifiant cet appel de fonds lancé principalement en direction des anciens, des amis et des bienfaiteurs, le P. Salim Daccache, recteur de l’USJ, redoute un enchaînement d’événements qui conduiraient à l’apparition d’une « génération perdue ». « Les ressources de l’université s’amenuisent, affirme le recteur de l’USJ, notre appel à la solidarité est un pari sur l’avenir. Car le risque de perdre une génération existe bel et bien. Le rectorat de l’université se trouve en face de l’ambassade de France. Et le matin, trois fois par semaine, nous assistons, effarés, à la formation d’une longue file d’attente de demandeurs de visa, qui s’étire jusqu’au musée. Les jeunes désertent le pays. C’est le capital humain de tout un pays qui s’en va. On dirait que toute une génération abdique. Si la jeunesse part, c’est l’avenir qui part. Et je parle des Libanais, pas des chrétiens seulement. »

Une décision courageuse

« En janvier 2021, le conseil de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth a pris la décision courageuse de ne pas augmenter les scolarités pour le second semestre 2021, sachant que plus de 46 % de nos étudiants bénéficient d’une aide sous une forme ou une autre », souligne Cynthia Ghobril-Andréa, directrice de la Fondation USJ qui centralise les dons et les fonds d’aide de l’université.

« Cette décision doit permettre aux étudiants de continuer leurs études malgré tout, souligne Mme Ghobril-Andréa. Mais ceci va entraîner un large déficit de 32 milliards de livres libanaises environ. C’est pour cela qu’il est important de multiplier les efforts de solidarité avec l’USJ et ses étudiants  (https://www.usj.edu.lb/donations/). »

Et Mme Ghobril-Andréa d’ajouter : « L’USJ fait en outre appel à ses anciens, amis et partenaires pour assurer un budget de 20 millions de dollars destiné à accorder des bourses à plus de 3 000 étudiants en difficulté financière, mais aussi à divers frais, dont la réhabilitation des campus et facultés dévastés par l’explosion du 4 août, ainsi que l’Hôtel-Dieu, et des aides ponctuelles à des familles défavorisées. »

Pour Nathalie (20 ans), étudiante en 3e année de nutrition, « la vie normale s’est arrêtée » le 4 août. « Depuis, nous vivons au jour le jour, dit-elle, ne sachant comment joindre les deux bouts, frais universitaires et réparation de son appartement, situé en face du port. Ma sœur souffre d’un traumatisme crânien grave et ne s’en remettra sans doute pas. Les aides accordées par l’État ont été inégalement distribuées, et des familles qui n’en ont pas vraiment souffert ont été dédommagées au-delà de toute probité. Mais nous, zéro. »

Les effets combinés des explosions du port et de la pandémie ont entraîné une baisse drastique des revenus du père de Rony (19 ans), un dentiste que sa santé rend particulièrement vulnérable au virus. Étudiant à la faculté de médecine dentaire, le jeune homme n’avait d’autre choix que de se diriger vers le service social de son université pour obtenir un sursis de paiement.

Des étudiants vivant sous le seuil de pauvreté

« Payer la scolarité au détriment des frais de subsistance les plus élémentaires ? Tel semble être le dilemme auquel un grand nombre de parents sont confrontés actuellement, commente pour L’OLJ Shiraz Akl, directrice du service social de l’USJ. Les fins de mois sont de plus en plus difficiles, surtout si le salaire n’est pas entièrement payé ou si le chômage s’est installé durablement. » « Jamais nos assistantes sociales n’ont recueilli autant de témoignages de jeunes en détresse, ajoute Mme Akl. Ils parlent de mémoires et de vies brisés à la suite de l’explosion du 4 août, et des centaines d’entre eux s’en trouvent amèrement affectés. » 

« La proportion d’étudiants en difficulté est troublante, s’inquiète en effet Shiraz Akl qui est aussi mère de famille. L’aide financière sur critères sociaux a presque atteint cette année 17 millions de dollars, mais reste pourtant insuffisante vu le nombre élevé d’étudiants toujours en retard dans le payement de leur scolarité de l’année passée. » « Un nombre élevé de jeunes de 18-24 ans vivent même sous le seuil de pauvreté, s’alarme-t-elle, certains ayant perdu l’activité rémunérée qui leur permettait de subvenir à leurs besoins pendants leurs études. Des aides ponctuelles, cumulables avec les aides en bourse, ont été parfois nécessaires pour répondre à la demande croissante d’étudiants en graves difficultés financières. » 

« Nos étudiants sont précieux et ils sont notre avenir. Ils font des études pour prendre leur destin en main et comptent sur leur diplôme pour devenir rapidement un soutien nécessaire à leurs parents. Les soutenir est une responsabilité humaine, mais surtout nationale. Ils feront vivre le Liban de demain », conclut la directrice du Service social de l’USJ.