InteraXXIons, la nouvelle revue de la FLSH : pluridisciplinarité et voix différente

2021

À l’occasion du lancement d’InteraXXIons, la revue scientifique et pluridisciplinaire de la Faculté des lettres et des sciences humaines (FLSH) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, La Digitale a rencontré le rédacteur en chef, Karl Akiki, et le secrétaire de rédaction, Christophe Varin.  

Propos recueillis par Roger Haddad

Dans votre éditorial, vous avez parlé de “migration” et de “fusion”. Pourquoi ?

Karl Akiki : Avant le lancement d’InteraXXIons, chaque département publiait ses Annales : la décision a été prise de créer une revue qui permettra un décloisonnement puisque les centres d’intérêts, les thématiques et les problématiques des diverses disciplines des sciences humaines sont les mêmes. Les départements de Philosophie et Histoire-Relations internationales continueront à publier, respectivement, les Annales Iris et Tempora, qui abordent des sujets bien particuliers et qui sont constitués parfois d’actes de colloques, nécessitant des mises en page spéciales. Mais ces départements contribuent bien évidemment à l’expansion d’InteraXXIons.  

Christophe Varin : L’objectif était tout d’abord d’ordre pragmatique : si on doit publier plusieurs revues, chacune ayant son comité de lecture, la tâche va devenir épuisante. La recherche et la publication académique en sciences humaines sont nécessairement multidisciplinaires, sauf dans des cas spécifiques comme les thèses. Lorsqu’on fait de la recherche, on essaye de mettre en dialogue les disciplines. Nous avons voulu qu’InteraXXIons soit l’écho de cette vision dans sa ligne éditoriale qui veut permettre à des voix, du monde arabe et du Moyen-Orient, de s’exprimer sur des thématiques propres à la région et, en même temps, d’entrer en dialogue avec des points de vues externes.

Donc interactions entre des voix du Liban, du monde arabe et du monde ?

K. A. : Interactions entre les différentes disciplines des sciences humaines, entre le Liban et le monde arabe, depuis le Moyen-Orient ou en direction de celui-ci.

Vous avez évoqué aussi « une voix différente » …   

K. A. : Très souvent le Moyen-Orient est abordé par des voix européennes et américaines. Pourquoi ça ne serait pas nous qui parlions de la région et de notre aire culturelle ? Mais ce n’est pas le seul but de la revue : la thématique du deuxième numéro (en cours) s’appuie sur la catastrophe de l’explosion du Port de Beyrouth pour traiter de catastrophes similaires, aux Antilles par exemple. Il est donc intéressant de comprendre ces différents regards et de remarquer qu’ils se recoupent à un certain moment.

Ch. V. : Du moment où on met des disciplines en résonnance, la « voix différente » n’est plus le propre d’un seul article ni d’un seul auteur : c’est la voix des auteurs rassemblés dans des axes disciplinaires différents, pour traiter une thématique. C’est le pari de la pluridisciplinarité qui fait la différence. La question n’est pas de traiter le Moyen-Orient sous l’angle exclusivement géopolitique ou politique ou littéraire, mais c’est de rassembler ces angles dans un même numéro.

Ce qui est important, aussi, c’est de lutter contre un travers qui considère que tout ce qui arrive au Liban n’est propre qu’au Liban. Il faut faire la différence entre le très singulier et cette espèce d’atavisme. Par exemple, les crises économiques ont existé cette dernière décennie en Afrique, en Grèce, au Chili et partout dans le monde : il n’est pas inutile d’aborder les expériences de ces pays et comment ils ont affronté les mêmes difficultés. Cette approche ne fait pas disparaitre la singularité de la crise au Liban. C’est ça la voix différente d’InteraXXIons : articuler des disciplines pour que le dossier, à la fin, soit un dossier pluridisciplinaire, qui crée une « voix », un « son », qui est le fruit de cette articulation, mais qui, en même temps, efface le risque de mise en exergue des particularités, qui sont parfois malsaines.

Quelle place pour les sciences humaines dans le monde d’aujourd’hui ?

Ch. V. : En septembre, un nouvel appel prenant appui sur les sciences humaines dans les séries télévisées est envisagé :   l’histoire, la psychologie, la littérature, vont entrer en dialogue. Lorsqu’on regarde, par exemple, comment les scénaristes travaillent dans une série comme « House of Cards » ou « Homeland », qui compose leurs équipes, comment ils anticipent des situations, etc, on voit que beaucoup d’entre eux ont des concordances avec les sciences humaines et sociales ; et en même temps, de plus en plus de séries deviennent des échos formidables de ce que ces sciences ont comme objets d’observation.

Dans Homeland, il s’agit d’une certaine lecture de l’Islam, des rapports de force géopolitiques et de la notion de puissance. Les sciences humaines ne peuvent que s’intéresser à cette forme de culture. Donc, j’espère que le nouveau numéro va présenter des travaux passionnants sur les séries, à la fois comme manifestation d’enjeux anthropologiques, sociologiques, historiques, géographiques, psychologiques et autres.    

K. A. : Les sciences humaines travaillent à froid, dans l’attente que l’évènement ait lieu. Mais avec InteraXXIons, nous essayons de faire un travail qui questionne l’actualité. Beaucoup de choses ont été dites sur les impacts économiques, sanitaires, politiques de l’explosion du Port. Mais il est aussi intéressant de porter un regard philosophique, psychologique, littéraire, géographique sur cette tragédie, ses ravages et son symbolisme. Les sciences humaines ne sont pas les parents pauvres de la recherche : elles ont beaucoup à dire.

Ch. V. : Une revue peut se permettre, premièrement de redonner une voix à la recherche, autrement que sous une forme normée provenant des sciences dites exactes ou dures ; deuxièmement, elle peut prouver que les sciences humaines et sociales doivent rester attentives à demeurer des sciences, et non pas devenir des plumes d’opinion ; et troisièmement, la revue permet d’agréger des perceptions et des connaissances dispersées.

K. A. : Ça va être très intéressant de voir, dans un nouveau numéro, comment la même série télévisée est vue par un philosophe, par un littéraire, par un historien…

Les étudiants de la FLSH peuvent-ils publier dans InteraXXIons?

Ch. V. : Les doctorants au sein de la FLSH peuvent trouver un lieu d’expression et soumettre des articles pour être publiés ou refusés. C’est une épreuve positive pour eux.

K. A. : Les doctorants doivent publier, avant la soutenance de leur thèse, deux articles dans une revue à comité de lecture. InteraXXIons leur offre cette possibilité sans pour autant garantir une publication. Ils doivent présenter un abstract et l’article sera soumis à deux réviseurs, un de l’USJ et un autre de l’étranger.

Découvrez le numéro 1 (2021) de la revue InteraXXIons