Entre le subjectif et l’objectif :Préconscient, mentalisation et transitionnalité

Tala Jaafir
Mardi 15 février 2022
Organisateurs

Dans sa première topique, Freud postule l’existence de trois systèmes psychiques[1]: le conscient est responsable de la perception et de l’attention. L’inconscient regroupe les pulsions, désirs et sentiments dont les représentations sont refoulées parce qu’inconciliables avec la morale. Et le préconscient relie ces deux systèmes.

La défaillance du préconscient met en relief son importance : face au stress, certaines personnes se désorganisent sur le plan somatique, elles crient leur mal-être psychique par des douleurs abdominales, des migraines, un ulcère, de l’exéma… On dit qu’elles somatisent. Ces personnes souffrent de ce que Pierre Marty[2] appelle « vie opératoire » et « carence fantasmatique » : cartésiennes et rationnelles, elles ne s’intéressent qu’à l’objectif et au factuel, rarement à leur réalité psychique (elles ne fantasment pas et n’investissent pas ni n’expriment leurs émotions). Bref, leur préconscient ne remplit pas son rôle de pare-excitation. Pierre Marty parle de « carence de la mentalisation ».

« Pare-excitation, mentalisation » que veulent dire ces mots savants ? Quel lien avec le préconscient ?

1. Le préconscient : mise en sens et mentalisation

Le préconscient met en sens nos vécus. Par exemple, face à un évènement traumatique telle l’explosion du port de Beyrouth, les uns diront qu’il s’agit de la volonté divine, les autres trouveront une explication scientifique ou politique. Mais d’autres encore seront sidérés, en prise à un non-sens les laissant en proie à une intense angoisse, à un émoussement affectif ou à des somatisations. Chez ces personnes, l’évènement traumatique a mis à mal la capacité de leur préconscient à donner sens, c’est-à-dire à mentaliser, à élaborer psychiquement les excitations traumatiques et à assurer sa fonction pare-excitative pour éviter la désorganisation somatique et/ou psychique.

Prenons un autre exemple : lorsqu’on va mal ou qu’on rencontre un problème, nous avons tendance à en parler à une personne de confiance (ami, proche, psychologue…). Cette personne nous prête son « appareil à penser les pensées », elle réalise un travail de « rêverie maternelle »[3] : par son écoute bienveillante, en mettant des mots sur nos maux et grâce à certains liens qu’elle fait entre les éléments qu’on lui rapporte, elle ranime notre préconscient, favorise sa capacité à trouver du sens, à penser autrement, à faire des liens, des associations, à mentaliser et à comprendre ce qui nous dérange et pourquoi il nous dérange. Nous découvrons parfois même un fonctionnement de notre psyché ignoré de nous-même. Le préconscient réussi alors son travail de liaison entre l’inconscient et le conscient : il élabore les contenus inconscients pour les faire parvenir de manière adéquate à la conscience. Ainsi, même sans recevoir des conseils, nous nous sentons plus sereins et à même de trouver des voies de dégagement par nous-mêmes.

2. Le préconscient : espace transitionnel

Ce travail du préconscient est ce que Winnicott appelle un fonctionnement dans la transitionnalité : "l’acceptation de la réalité est une tâche inachevée, […]aucun être humain n’est affranchi de la tension que suscite la mise en rapport de la réalité intérieure et de la réalité extérieure ; […] cette tension peut être relâchée grâce à l’existence d’une aire intermédiaire d’expérience qui n’est pas contestée (les arts, la religion, etc.)"[4]. Autrement dit, en créant, en lisant, en contemplant la beauté ou en partageant ses pensées et émotions avec une personne de confiance… nous fonctionnons dans un « espace potentiel »[5], une « aire intermédiaire »[6] où notre préconscient peut verbaliser, transformer, sublimer et transcrire la réalité psychique subjective dans la réalité matérielle objective. Ceci contribue à la mise en sens et à l’élaboration de la première.

 

[1] (Freud, 1899)

[2] (Marty, 1979)

[3] (Bion, 1962)

[4] (Winnicott, 1951, p. 215)

[5] (Winnicott, 1971, p. 137)

[6] (Winnicott, 1971, p. 137)