Observations finales de Son Excellence Mgr. Paul Richard Gallagher, Secrétaire pour les Relations avec les Etats du Saint Siège

Mardi 1 février 2022

Rencontre avec les personnalités culturelles et politiques  

Université Saint Joseph - Beyrouth  
Mardi, 1er février 2022 

Observations finales de Son Excellence Mgr. Paul Richard Gallagher, Secrétaire pour les Relations avec les Etats du Saint Siège 

Permettez-moi de remercier sincèrement le Rév. P. Sélim Daccache, S.J., Recteur de l’Université Saint Joseph à Beyrouth, pour avoir organiser cette rencontre. Je remercie aussi toutes les personnes présentes et, en particulier, tous ceux qui ont pris la parole.  

Je suis au Liban pour exprimer la proximité du Saint Père, le Pape François, à toutes les Libanaises et Libanais, en cette période très complexe et délicate. Le Saint Siège et le Liban ont établi des relations diplomatiques il y a 75 ans de cela et, en diverses occasions, les Pontifes ont exprimé leur profond intérêt et leur attention pour le Pays des Cèdres.   

La première chose qui vient spontanément à l’esprit quand on pense au Liban est qu’il fait partie de la “Terre Sainte”. En effet, il a été témoin de la présence physique de Jésus et des Apôtres, comme nous le rappellent les Evangiles.  Des communautés ferventes surgirent presque immédiatement ici, et les Actes des Apôtres attestent de la présence de St Paul pour environ une semaine à Tyr durant son voyage vers Jérusalem (Actes 21, 3-6).  

De plus, le Liban revêt une importance considérable dans l’Ancien Testament qui le mentionne explicitement pas moins de 72 fois et il en fait allusion plus de 100 fois. En outre, la référence aux “cèdres” du Liban est présente tout le long des Textes Sacrés. Des histoires particulières, comme celle d’Elisée et de la veuve de Sarepta (aujourd’hui Sarafand), font aussi allusion au Liban.  

De pair avec ces références bibliques, il y a aussi la connexion historique-culturelle avec la civilisation Phénicienne qui est originaire d’ici.  Nous trouvons ici l’origine du premier vrai alphabet introduit en Occident, selon la légende, par Cadmos, fils du roi de Tyr, envoyé par son père pour chercher et ramener chez elle, sa sœur “Europe” enlevée par Zeus.   

La Culture de la Rencontre ( la culture de l’être)

Ces considérables points de référence nous montrent combien le Liban est important, non seulement pour les Libanais, mais aussi pour tout le monde, en tant que berceau d’anciennes civilisations. De plus, le Liban est une terre chère à l’Église Catholique en particulier, étant un lieu où les Chrétiens ont toujours vécu et joué un rôle fondamental pour la culture et la tradition.  

Au Liban, comme partout au Moyen Orient, les Chrétiens ont toujours partagé la vie quotidienne avec les Musulmans, développant ainsi une relation unique à travers les siècles. Ceci leur a permis de partager leur vie les uns avec les autres, remise en question positivement par la religiosité de l’autre. Il en résulte une certaine symbiose, pourrions-nous dire, qui a engendré une forme de culture où les différentes traditions et pensées ont été capables d’entrer en un dialogue significatif. Cet aspect précieux de l’histoire culturelle du Liban ne peut être perdu, car il constitue les fondements historique et national du bien-être de ce pays.  

Nous sommes bien conscients que les Chrétiens, avec les Musulmans, ont joué un rôle remarquable dans la consolidation de la culture Arabe, par leur participation active à la Renaissance Arabe. A travers les siècles, le Liban a été pionnier dans le journalisme, la littérature, l’art, la musique et l’histoire. Il suffit de nommer juste un exemple connu mondialement : Gibran Khalil Gibran.  

St. Jean Paul II, dans un de ses discours à l’UNESCO à Paris a dit que, “[La] culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient davantage homme, « est » davantage, accède davantage à l’« être ». C’est là aussi que se fonde la distinction capitale entre ce que l’homme est et ce qu’il a, entre l’être et l’avoir. ” (St. Jean-Paul II, Discours à l’UNESCO, 2 Juin 1980, n. 7). L’enseignement du Pape affirme clairement que la culture élève l’être humain vers son vrai dessein, le vrai humanisme. En d’autres termes, l’élévation implique aussi de nobles buts fondamentalement liés à la culture.   

En même temps, la culture favorise la justice et la paix, car tout bon penseur se doit de constater que “humanisme vrai” signifie que “l’autre”, quel qu’il soit, appartient à la même famille humaine. En effet, la culture est un pilier pour la paix et le développement.  Une société qui manque de culture plonge facilement dans l’animosité, l’adversité et l’extrémisme.  

A ce sujet, l’éducation et l’apprentissage des jeunes générations sont une part essentielle et un devoir pour toute société. Que leur offrons-nous? 

Partie de la culture de l’être 

Récemment, le Pape François, avec le Grand Imam de Al-Azhar Ahmad Al-Tayyeb, a lancé un appel aux intellectuels, philosophes, personalités religieuses, artistes, professionnels des médias et aux femmes et hommes de culture de partout dans le monde, “afin qu’ils retrouvent les valeurs de la paix, de la justice, du bien, de la beauté, de la fraternité humaine et de la coexistence commune, pour confirmer l’importance de ces valeurs comme ancre de salut pour tous et chercher à les répandre partout.”. (S.S. François, Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune). 

Il n’est pas possible qu’au Liban on n’entende pas cet appel.  Coexistence (vivre ensemble) fait partie de la vie. Dans le monde d’aujourd’hui, le rêve de travailler ensemble pour la justice et la paix peut sembler parfois désuet, un idéal utopique. Plutôt, on a tendance à se voir tout-puissant et l’on oublie qu’en fait nous sommes tous dans la même barque, comme la pandémie nous l’a très bien rappelé.  Cette illusion, qui oublie nos valeurs fraternelles communes, nous mène à l’isolement et nous renferme dans nos propres intérêts qui “ ne sont jamais la voie à suivre pour redonner l’espérance et opérer un renouvellement, mais c’est [plutôt] la proximité, c’est la culture de la rencontre. Isolement non, proximité oui. Culture de l’affrontement non, culture de la rencontre, oui ”. (S.S. François, Lettre Encyclique ‘Fratelli Tutti’, 30).  

La ‘culture de la rencontre’ entre les différentes religions, traditions et cultures doit être cultivée dès le jeune âge et la vie quotidienne au Liban doit permettre cette interaction. A ce sujet, j’espère que la crise économique actuelle au Liban qui voit souffrir énormément les écoles et les universités, arrivera à sa fin. Je voudrais exprimer ma profonde solidarité aux directeurs, enseignants et familles en difficulté. 

Nous sommes profondément convaincus que la culture, assurée par les institutions éducatives, est une garantie cruciale pour la paix et le développement, et pour un humanisme toujours plus renouvelé, basé aussi sur des valeurs spirituelles.  

Ceci signifie que culture et religion doivent être vus et encouragés à se compléter l’un l’autre, en travaillant pour établir les valeurs citées plus haut.   

Rencontre des Religions 

Saint Jean Paul II a écrit dans son message à une rencontre internationale des religions : “ce que j'ai appelé "l'esprit d'Assise" (pour dire l’esprit de paix) … encourage les religions à offrir leur contribution à ce nouvel humanisme dont le monde contemporain a tant besoin” (St. Jean Paul II, Message à l’occasion de la  18ème rencontre Internationale intitulée ‘Peuples et Religions’, 3 septembre 2004, 2). Ces mots ont été rédigés quelques mois seulement avant son décès. Ils représentent un testament de cette intersection entre religion, culture et humanisme.  

Dans la sphère religieuse, l’enseignement religieux authentique nous invite à rester enracinés dans les valeurs de l’entente mutuelle et de la coexistence harmonieuse, qui sont fondamentaux pour promouvoir l’humanisme et la fraternité.  Plus encore, la sensibilisation religieuse parmi les jeunes doit être réanimée afin de protéger les générations futures du croissant danger d’une vision du monde matérialiste et des dangereuses politiques de convoitises effrénées et de l’indifférence fondées « sur la loi de la force et non sur la force de la loi ». , (Culture de l’avoir) 

Ainsi, les nouvelles générations pourront voir que le dialogue entre croyants signifie converger ensemble, dans un vaste espace spirituel et humain, aux valeurs sociales partagées pour transmettre les hautes vertus morales et les objectifs de la religion. (cf. Document sur la Fraternité Humaine).  

Le dialogue entre croyants de différentes religions ne se fait pas simplement pour des raisons de diplomatie ou de tolérance mais afin “d’établir l’amitié, la paix, l’harmonie et de partager des valeurs ainsi que des expériences morales et spirituelles dans un esprit de vérité et d’amour ”. (S.S. François, Fratelli Tutti, 271) 

Comme vous le savez, le Liban est un pôle de multiples religions et confessions.  A travers les siècles, et non sans difficultés, les Libanais ont témoigné de la valeur du dialogue entre les religions. Aujourd’hui, comme toujours, notre appel constant à tous les religieux et leaders politiques demeure celui de renforcer les valeurs de fraternité, paix et harmonie, et de dénoncer et bannir toute action qui recherche son contraire. A l’opposé de ce que fait Naim Kassem   

L’importante et noble relation entre culture et religion a un impact positif sur la vie quotidienne de chaque personne et de chaque société. Elle influence la qualité de vie dans la “cité” (polis), à travers la politique, dans chaque pays et société, au niveau national et mondial.  

La Politique de la rencontre 

Le Pape François nous rappelle que “c’est un appel pour que la société poursuive la promotion du bien commun et, à partir de cet objectif, reconstruise inlassablement son ordonnancement politique et social, son réseau de relations, son projet humain” (S.S. François, Fratelli Tutti, 66). Encore une fois, demandons-nous, comment sommes-nous en train d’aider nos jeunes dans cet effort ?  

Il n’est pas difficile de les entendre parler de leur désengagement envers la vie politique. Souvent, des valeurs comme le service de la charité se perdent au profit d’intérêts égocentriques. Il est alors difficile pour les jeunes d’éprouver de la passion pour la vie politique dans leur pays. En même temps, il y a le danger que les futures générations voient dans toutes les questions politiques une culture de la « dialectique du plus fort » plutôt qu’une culture de la rencontre.  Comme je l’ai déjà dit, l’absence de culture et d’éducation sape l’humanisme et fournit un terrain fertile au développement de l’extrémisme.  

Le Saint Père François a dit que “la grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on œuvre pour les grands principes et en pensant au bien commun à long terme. Il est très difficile pour le pouvoir politique d’assumer ce devoir dans un projet de Nation et encore davantage dans un projet commun pour l’humanité présente et future. Penser à ceux qui viendront ne sert pas aux objectifs électoraux, mais c’est ce qu’une justice authentique exige” (François, Fratelli Tutti, 178). 

En effet, l’appel pour la justice s’élève dans nos cœurs spécialement quand l’injustice et l’impunité règne.  La justice est la voie parcourue par la Charité. St. Paul VI définit la justice comme “la plus petite mesure” de charité (St. Paul VI, Homélie pour la Journée du Développement, 23 Août 1968). Et le Pape Benoît XVI, évoquant le même concept dit: “D’une part, la charité exige la justice: la reconnaissance et le respect des droits légitimes des individus et des peuples. Elle s’efforce de construire la cité de l’homme selon le droit et la justice. D’autre part, la charité dépasse la justice et la complète dans la logique du don et du pardon. La cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion” (S.S. Benoît XVI, Caritas in veritate, 6).  

Je peux imaginer que la justice, la charité et le pardon ne sont pas les premiers mots qui nous viennent à l’esprit quand on pense à la vie politique. Cependant celui qui désire s’engager consciemment et volontairement dans la politique, ne peut les éviter. Pour cette raison “reconnaître chaque être humain comme un frère ou une sœur et chercher une amitié sociale qui intègre tout le monde ne sont pas de simples utopies. Cela exige la décision et la capacité de trouver les voies efficaces qui les rendent réellement possibles. Tout engagement dans ce sens devient un exercice suprême de la charité” (S.S. François, Fratelli Tutti, 180). 

Culture, religion et politique, lorsqu’ils sont promus et cultivés chez les jeunes, peuvent mener vers une société plus juste et plus équitable. Cela n’est pas vrai seulement pour le Liban mais pour tout le Moyen Orient. Nous devons commencer par les intégrer jour après jour dans notre comportement. Nous devons commencer par cette perspective d’un monde plus fraternel et juste.  

La réalité fragmentée du MO  

Parfois, il semblerait que les Pays du Moyen Orient ne forment pas une vraie unité géopolitique cohésive. Il y a plusieurs raisons, y compris des dynamiques exogènes (l’effondrement de l’Empire Ottoman et du colonialisme européen et l’influence d’acteurs externes) et aussi des dynamiques endogènes (les nationalismes ethniques n’ont pas toujours été intégrés dans une recherche d’unité en ce qui concerne les frictions internes).   Ceci mène beaucoup à voir le Moyen Orient comme une réalité fragmentée, à la recherche d’une unité interne qui est souvent perturbée par des interférences externes.   

De plus, l’adoption de réformes économiques nécessaires et la promotion de systèmes justes de gouvernance n’est certainement pas chose aisée. Des acteurs extrémistes, qui se présentent comme des quasi-état, émergent eux aussi toujours plus, prenant avantage de la désorientation et du mécontentement des jeunes et de beaucoup d’autres. La lutte pour les ressources d’énergie elle aussi, n’aide pas à créer une communauté de pays qui pourraient vivre en paix et sécurité, côte à côte.    

Par ailleurs, le problème du changement climatique peine à devenir une priorité surtout là où il y a d’autres questions plus pressantes, telle que la pauvreté et la guerre. Malgré cela, il y a toujours le risque que dans un futur proche, le Moyen Orient aura à faire face à la désertification croissante qui aura pour conséquence une massive migration à la recherche de régions habitables et de ressources d’énergie.   

Donc, nous devons reconnaitre que jusqu’à présent le Moyen Orient a été ‘objet’ de politique internationale et non ‘sujet’ d’une réflexion positive tournée vers l’avenir.  S’il sera possible de promouvoir une culture et une politique de la Rencontre, de pair avec dialogue sincère et plus fraternel entre les grandes religions présentes (Judaïsme, Christianisme et Islam), cette région pourrait finalement devenir cohésive et unie. Elle représenterait un point de rencontre important sur le plan de l’économie internationale et du système politique.   

C’est dans ce cadre-là que le Liban, je le crois fermement, pourrait jouer un rôle important, offrant un exemple de fraternité et de dialogue pour tout le Moyen Orient et la région Méditerranéenne. Dans ce sens, je réitère l’appel du Pape François durant son discours au Corps Diplomatique, il y a quelques semaines au Vatican : 

Au cher peuple libanais, aux prises avec une crise économique et politique qui peine à trouver des solutions, je désire aujourd’hui renouveler ma proximité et ma prière, tout en souhaitant que les réformes nécessaires et le soutien de la communauté internationale aident le pays à rester ferme dans son identité de modèle de coexistence pacifique et de fraternité entre les différentes religions ”. (S.S. François, Discours aux membres du Corps Diplomatique, 10 Janvier 2022)