Flux financiers, licéité et limites

30 juin 2023

À l’invitation de la Faculté de droit et des sciences politiques (FDSP) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, M. Patrick Ramaël, avocat au barreau de Paris, ancien président de cour d’assises des Bouches-du-Rhône spécialisée en criminalité organisée et ancien vice-président chargé de l’instruction à Paris, ainsi que Mme Miriame Laïchi, avocate au barreau de Paris et spécialiste de droit fiscal, ont présenté des communications lors d’une conférence-discussion sur le thème « Flux financiers : licéité et limites », le 30 juin 2023 à l’amphithéâtre Gulbenkian du Campus des sciences sociales. La conférence a été modérée par Me Karim Daher, chargé de cours de droit fiscal à la FDSP et membre du Groupe de haut niveau de l’ONU sur la responsabilité, la transparence et l’intégrité financière internationales.

Traitant le sujet de « La lutte contre la criminalité financière majeure », le président Ramaël a commencé par préciser que la criminalité financière majeure prospère parce qu’elle est peu détectée et qu’elle fait rarement l’objet des priorités de politique pénale des États. Elle profite ainsi de la faiblesse des appareils judiciaires, dont les moyens sont tournés vers la petite et moyenne délinquance aux effets directement ressentis par les citoyens qui, la subissant, exigent légitimement des résultats. La meilleure illustration de ce phénomène peut être donnée par l’organisation criminelle, puissante mais largement méconnue, « les voleurs dans la loi » dont les responsables parviennent à rester « sous les radars » alors que « les soldats » sont condamnés lorsqu’ils sont arrêtés. L’impunité de la criminalité financière majeure s’explique également par la corruption dont elle bénéficie à tous les stades. À ce titre, la corruption des magistrats est la plus insupportable car elle permet à l’ensemble d’un système corrompu de fonctionner. Le président Ramaël propose donc de créer un nouveau délit, au chapitre des entraves à l’action de la justice : le délit de pression sur un magistrat. Ce délit consisterait, dans sa forme active, pour quiconque, de chercher à obtenir d’un magistrat, par des pressions, offres, promesses, présents ou avantages, y compris honorifiques, que ce magistrat accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction et, dans sa forme passive, pour un magistrat, de les solliciter ou de les agréer. L’enjeu démocratique est immense, achève-t-il. La justice se doit d’être efficace tant au niveau de l’enquête que du jugement sous peine de désespérance des citoyens et de désordres sociaux graves, voire de faillite de la notion d’État.

La deuxième communication portait sur le thème suivant : « Optimisation fiscale et intérêt public ». Me Miriame Laïchi a commencé par rappeler que l’optimisation fiscale personnelle et les finances publiques d’un État riment parfois avec intérêts opposés : le contribuable souhaite payer le moins d’impôt possible et protège ainsi son intérêt privé ; alors que l’État a besoin d’alimenter ses ressources financières et protège l’intérêt général. Me Laïchi estime toutefois, exemples à l’appui, qu’un équilibre peut et doit être atteint entre l’optimisation fiscale légitime et l’intérêt général de l’Etat.

Passant dans un second temps à l’exemple des ressortissants libanais entretenant des liens divers avec la France, Me Laïchi a brossé un tableau des différentes questions posées en y apportant l’une après l’autre des réponses claires et rigoureuses. Les ressortissants libanais qui s’installent en France deviennent en effet souvent des résidents fiscaux français. S’ils commettent des erreurs fiscales, l’administration fiscale française ne manquera pas de les redresser pour recouvrer l’impôt qui aurait dû être déclaré et payé. « D’autant que le gouvernement français, ajoute Mme Laïchi, vient de se donner comme objectif d’intensifier les contrôles fiscaux des « plus gros patrimoines » et des grandes entreprises ». Le ministre de l’Action et des Comptes publics a d’ailleurs détaillé le service de renseignements qui sera lancé à Bercy, promettant une centaine « d’agents d’élite » pour enquêter dans les « États non coopératifs », comme le Panama ou les Bahamas.

« En s’installant en France, poursuit-elle, les ressortissants libanais doivent donc être vigilants et éviter de commettre certaines erreurs, dont les plus fréquentes sont les suivantes : ignorer qu’ils sont déjà des résidents fiscaux français, omettre de déclarer leurs comptes bancaires détenus à l’étranger et particulièrement au Liban, omettre de déclarer leurs revenus perçus à l’étranger et particulièrement au Liban. Ces erreurs entraînent des contrôles fiscaux sévères qui pourraient être évités par une bonne connaissance et une saine application de la loi. Le respect des règles fiscales est en effet nécessaire à la fois dans l’intérêt personnel des résidents et dans l’intérêt général de l’État ». « Les recettes fiscales de l’État permettent, rappelle Mme Laïchi, une redistribution équitable du budget public, lequel assure aux résidents la gratuité des services publics. Il s’agit donc d’un système vertueux qui garantit une meilleure justice sociale ».

Les questions posées aux intervenants par Me Daher comme par le public ont suscité des échanges intéressants sur un assez grand nombre de sujets. Comment la communauté internationale devrait-elle repenser l’architecture mondiale pour lutter contre les flux financiers illicites de manière à mettre en œuvre les objectifs communs d’intégrité et de développement durable ? Compte tenu de la lenteur et parfois de l’inefficacité des processus de confiscation et de récupération des biens mal acquis, la création d’un mécanisme de médiation approprié, neutre et mutuellement agrée, pourrait-il être utilement mis en place pour garantir la compensation effective des victimes ? Dans l’intervalle, les biens ne devraient-ils pas être déposés dans des comptes de séquestre (escrow) et gérés par des banques de développement régionales au profit des Etats requérants ? Les optimisations fiscales notamment successorales facilitées par les dispositions de la Convention fiscale franco-libanaise de 1962, sont-elles actuellement remises en cause par les autorités fiscales françaises ? Quid des transactions réalisées en France par des résidents libanais ou autres par le biais de sociétés holding et offshore libanaises ? Dans la lutte contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale, quid du data naming et du numérique comme instruments pour tracer des transactions, récupérer les informations sur les contribuables et programmer les contrôles ? Les normes et standards universels harmonisés (BEPS ; MDR ; etc.) pour les facilitateurs malhonnêtes à l’instar de certains financiers, intermédiaires, avocats et commissaires aux comptes, avec l’obligation de rapporter et/ou de refuser les transactions illicites, sont-ils contraires aux principes de la profession ? Compte tenu de la variété et de la complexité de ces thèmes, nulle surprise que les débats se soient poursuivis bien au-delà de l’heure initialement convenue.

 

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