Nous avons toujours associé le Carême aux privations, aux abstinences, voire même à la souffrance. Nous l’avons toujours vécu, ou nous avons toujours souhaité le vivre dans cette perspective-là, estimant qu’ainsi, nous nous rapprochons de son essence et nous nous attirons de la sorte les grâces d’un Dieu qui se nourrit de nos sacrifices, de nos offrandes, de nos abstinences, de nos privations, de nos pénitences et autres douleurs infligées …
Et si le Carême était plutôt le temps du désir ?
Oui, celui d’un désir qui se libère de toute emprise, de toute convoitise, de toute volonté de possession et de mainmise, et se dit dans sa forme la plus simple, et donc la plus divine, le désir d’une vie qui a du goût, une vie qui a du sens, le désir d’une rencontre vraie et authentique.
Non, le Carême n’est pas le temps des abstinences qui soulageraient notre conscience, souligneraient notre héroïsme, nous feraient mériter le « paradis » à la force du poignet ; le Carême est l’expression du désir. D’abord celui de Dieu qui se donne jusqu’au bout de l’Amour et va jusqu’à la croix parce qu’il aime sans équivoque ; puis celui de l’Homme qui tente de répondre à ce désir, même maladroitement. Il tente de se mettre au diapason de ce Dieu-Amour qui l’invite à entrer dans la dynamique de son désir.
Le Carême devient ainsi une valse à deux temps, celui de Dieu qui l’inaugure et l’instaure et celui de l’Homme qui met ses pas dans ceux de son Dieu et apprend, à coup de sens, à se donner comme Lui, à aimer comme Lui, à désirer comme Lui.
Non, le Carême n’est pas le temps de l’abstinence – parce que s’abstenir signifie arrêter – mais le temps de tous les débuts, de toutes les dynamiques, de toutes les générosités, de tous les dons, de tous les mouvements, de toutes les valses : ceux qui donnent et engendrent la Vie.
Le Carême est la réponse amoureuse à cette invitation que lance le Bien Aimé dans le Cantique des Cantiques : « Lève-toi, (…) et viens ! Car voici que l’hiver est fini, la pluie a cessé, elle a disparu. Viens (…) sortons ». C’est le temps de la sortie de l’hiver de la mort vers le printemps de l’abondance, une sortie de l’inertie de la peur vers la dynamique de l’amour, une sortie du soi emprisonné dans ses propres principes et croyances vers la Résurrection qui déboussole et réoriente vers la Vie.
Que ce Carême soit pour nous tous le temps de l’abondance du désir et du don.
R.P. Jad CHEBLI, s.j.
Aumônier général de l'USJ