Renforcer la participation politique des femmes et des jeunes au Liban

Trente-cinq étudiants de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth ont participé à une compétition organisée par l’ONG Madanyat, en collaboration avec Oxfam, WeWill, Women Voice and Leadership et GAC (Global Affairs Canada).
Jeudi 7 mars 2024

C’est dans le cadre d’un cours académique sur la méthodologie de recherche et la politique publique offert à l’Institut des sciences politiques (ISP) de l’USJ, et sous la supervision de leur enseignante Rita Chemaly, que les étudiants ont réussi à interviewer des parlementaires, des chercheurs et des spécialistes, à recueillir des données, à analyser des résultats et à produire des études de recherche sur le sujet de la participation politique des femmes et des jeunes, et cela, en liant la théorie à la pratique. À la fin de ce travail acharné, d’une durée d’environ trois mois, les étudiants ont présenté leurs travaux devant un jury d’experts qualifiés. Ceux qui se sont distingués ont été honorés en janvier au cours d’une cérémonie de remise de prix. « Les étudiants en première, deuxième et troisième année ont été très investis dans le travail et très intéressés. Ils ne se sont jamais absentés aux formations », souligne Rita Chemaly. Elle ajoute : « Ils ont réussi à former des groupes et à rédiger un travail collaboratif de recherche orienté vers l’action (action oriented research) ». Chemaly, qui enseigne à l’USJ depuis 2014, précise : « Les chercheurs en herbe ont travaillé dans trois langues. Les guides d’entretien étaient en arabe, tandis que les recherches et les rendus étaient rédigés en anglais et en français. »

Les défis au Parlement

Mariam Moughnieh, Amy Rafaël, Alya Younès et Mia Salem ont reçu le premier prix dans cette compétition. Cette équipe s’est penchée sur les défis auxquels font face les candidates politiques au Liban, malgré les mouvements de plaidoyer et les réformes sociales visant à promouvoir l’égalité des sexes dans la sphère politique. Mariam, étudiante en 2E année à l’ISP, affirme avoir recueilli avec son équipe des données qualitatives et quantitatives et effectué des recherches documentaires pour contribuer à une analyse exhaustive de la participation politique des femmes et des jeunes au Liban, offrant ainsi une base solide pour formuler des recommandations et des solutions concrètes. La jeune femme de 20 ans confie : « Cette expérience est extraordinaire. C’était ma première expérience d’entretien professionnel, j’ai ressenti que je jouais le rôle d’une vraie journaliste ! La communication avec des femmes actives dans la vie politique nous a fourni des informations précieuses auxquelles nous n’aurions pas pu avoir accès par le biais des documents de recherche. » Alya Younès, également en 2E année à l’ISP, fait aussi partie de l’équipe qui a remporté le premier prix. « Tous les participants étaient très enthousiastes et très compétitifs, ce qui a rendu le travail aussi intéressant », indique-t-elle. Évoquant les obstacles que son équipe a confrontés, elle poursuit : « Certaines personnes que nous avions envisagé d’interviewer étaient indisponibles, mais aussi le questionnaire en ligne n’a pas recueilli les réponses des personnes qui n’ont pas accès à internet ou qui sont illettrées. » Revenant sur leur victoire, la jeune étudiante considère que la confiance en soi, la concision et la clarté sont essentielles pour se défendre devant un jury. Quant à Mariam, elle trouve que la maîtrise approfondie du sujet demeure très importante pour gagner dans une compétition. Dans son étude, l’équipe s’est penchée de manière concrète sur les obstacles affectant la participation parlementaire des femmes. La chercheuse souligne les stéréotypes de genre qui peuvent limiter les opportunités pour les femmes en politique, les cantonnant souvent à des rôles traditionnels plutôt qu’à des postes de leadership. Elle précise que « les structures politiques au Liban ne sont pas conçues pour favoriser la participation des femmes, avec des systèmes de nomination et des cultures de travail qui les excluent ou les marginalisent ». Mariam explique que les politiciennes sont confrontées à des discriminations tant sur le plan personnel que professionnel, ce qui les décourage de poursuivre une carrière politique. Afin de surmonter ces défis, ce groupe a proposé des campagnes de sensibilisation et d’éducation sur l’importance de la diversité et de l’égalité des genres dans les institutions politiques. En outre, Mariam ajoute : « Il est important de mettre en place des réformes institutionnelles pour promouvoir l’égalité des genres, telles que des quotas pour la représentation des femmes dans les organes décisionnels ou des politiques favorisant l’équilibre entre travail et vie familiale. » Sans oublier le soutien financier aux femmes et l’instauration de mécanismes pour lutter contre toute forme de discrimination et de harcèlement politique.

Défendre un quota de genre aux législatives

Wassim Atrissi, Marianne Saghbini, Elsa Carmen Saliba, Élia Mokbel et Valentin Peterson ont, eux, remporté le deuxième prix. Cette équipe a analysé la possibilité d’instaurer un quota de genre dans le cadre d’une loi adoptée par le Parlement libanais qui pourra s’appliquer au pouvoir législatif pour garantir la représentation des femmes dans la vie publique. Wassim alerte sur la situation alarmante concernant le nombre des femmes à l’Assemblée. « Le Parlement comprend 8 femmes sur 128 députés. En d’autres mots, 6,25 % de l’hémicycle pour une population féminine qui constitue plus de la moitié du Liban. » Pour examiner cette question de plus près, l’équipe de Wassim a interviewé des personnalités qualifiées, telles que l’ancien ministre de l’Intérieur, Ziad Baroud, et la parlementaire Paula Yacoubian. De plus, l’équipe a rencontré des spécialistes et des chercheurs pour mieux comprendre la situation. Wassim évoque certaines difficultés rencontrées : « Il est difficile de distinguer les bonnes des mauvaises informations, mais aussi de maintenir une certaine neutralité face à nos interlocuteurs. » La situation de conflit au Liban-Sud avec Israël a également empêché l’équipe d’interviewer la députée Inaya Ezzeddine dont la « priorité était de s’occuper de la situation de sa région », comme le souligne Wassim. Le jeune étudiant poursuit : « Le pitching et la présentation furent des moyens intéressants pour apprendre à expliquer ses propres idées devant un public et maîtriser l’art de la parole. » Atrissi souligne l’importance pour les femmes de partager le pouvoir avec les hommes pour la promotion de l’égalité entre hommes et femmes, ainsi que « la diminution progressive de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes au niveau socio-économique ». Dans l’étude réalisée en équipe, Wassim présente les deux points de vue concernant le quota de genre. D’une part, les défenseurs du quota voient en cette mesure une nécessité pour renforcer la participation des femmes dans la vie politique, mais aussi « pour effacer progressivement les stéréotypes vis-à-vis des femmes et l’inconscient collectif reposant sur l’idée que les femmes n’ont pas leur place en politique ». D’autre part, les opposants au quota soulignent l’importance de la méritocratie, c’est-à-dire l’idée que les positions devraient revenir à ceux qui les méritent, quel que soit leur genre. Selon eux, instaurer un quota serait discriminatoire envers les hommes. Ils arguent également que les femmes peuvent accéder à des positions élevées en politique tout autant que les hommes, sans recourir à une mesure telle que le quota.

Stratégies pour surmonter les défis

Joëlle Bou Ghantous, Lara Bou Debs, Anna-Maria Kassouf, Cyrine Chehidia et Kris Attié ont remporté le 3e prix de la compétition. Cette équipe a traité des causes et des obstacles qui influent sur la participation parlementaire des femmes ainsi que des stratégies afin de surmonter ces défis. « L’atmosphère compétitive a créé un environnement propice à la créativité », confie Joëlle Bou Ghantous, âgée de 22 ans, qui poursuit une double licence en sciences politiques et en droit. Pour elle, « la compétition est une excellente opportunité d’apprentissage, et les retours du jury étaient bénéfiques pour affiner notre projet et identifier les pistes d’amélioration ». En revanche, l’équipe a été confrontée à des délais serrés, sachant que les étudiants passaient des examens et étaient engagés dans d’autres cours. « Le maintien de la motivation des participants tout au long de l’étude a été un obstacle, lance Joëlle. La gestion de grandes quantités de données issues de multiples entretiens et de recherches a également constitué un défi. » Revenant sur les difficultés qu’affrontent les femmes en politique, Joëlle explique que les héritiers politiques, principalement des hommes, se présentent aux élections, même lorsque les femmes de la famille sont plus compétentes pour occuper de tels postes, en raison de la mentalité patriarcale. De plus, les femmes manifestent moins d’intérêt pour la vie politique, souvent perçue comme un domaine réservé aux hommes, même de manière inconsciente. La jeune étudiante ajoute : « Il peut parfois être difficile, mais il n’est jamais impossible de concilier vie familiale et carrière politique réussie. » Par ailleurs, les femmes indépendantes doivent faire face à des défis financiers bien plus lourds que dans le cas de celles bénéficiant du soutien d’un parti politique. En outre, elles sont confrontées à des violences verbales, notamment sur les réseaux sociaux. En effet, de nombreuses femmes politiques sont victimes de harcèlement verbal au quotidien et reçoivent régulièrement des messages offensants. Elles sont enfin exposées à des menaces et à des intimidations en ligne.

OLJ / Par Tracy DAIGE, le 07 mars 2024