Vitrail-mémorial en hommage aux victimes du 4 août 2020

Lundi 18 mars 2024

Le Rectorat de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) a été le théâtre d'un moment solennel le lundi 18 mars 2024, en présence du Recteur, Vice-recteurs, Doyens et directeurs de l'USJ, ainsi que de parents de victimes de l’explosion du port de Beyrouth, pour marquer l'installation d'un vitrail-mémorial dédié aux victimes du terrible drame survenu le 4 août 2020, dont les Alumni Krystel el-Adm, Khalil Aoun Moujaes, Cyril Canaan, Nicole Hélou, Arlette Kattah, Claudia Lakkis, Elie Naufal et Armand Bernard Tyan.

Ce vitrail revêt une signification profonde, puisqu'il a été conçu à partir de débris de vitraux du XIXe siècle provenant de l’église Saint-Joseph des jésuites, elle-même dévastée lors de l'explosion. Cette catastrophe a endeuillé la nation libanaise, faisant plus de 235 morts et blessant plus de 7000 personnes. L'initiative de ce mémorial émouvant revient au Pr Salim Daccache s.j., recteur de l’USJ, au Pr Christian Taoutel, Chef du Département d’histoire-relations internationales de la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’USJ, ainsi qu'au P. Jad Chebli s.j., aumônier de l’USJ.

Le Pr Christian Taoutel a souligné, lors de la cérémonie, l'importance historique des vitraux de l'église Saint-Joseph et leur lien symbolique avec les vies perdues au cours de cette tragédie. Il a rappelé l'effort de restauration entrepris entre 2008 et 2010, soulignant la perte inestimable subie le 4 août 2020. Il a partagé ces mots poignants en déclarant « Le 4 août, nous avons tous perdu quelqu'un ou une partie de nous en tout cas. Et à l'image de Beyrouth, l'église Saint-Joseph des pères jésuites a aussi perdu ses vitraux. [...] Pendant la guerre civile du Liban, les 39 vitraux qui existaient ont éclaté, ont été détruits et brisés et ont disparu, évidemment à cause des bombardements. [...] Et le 4 août 2020, ces vitraux ont encore une fois été détruits. »

« Le 5 août au matin, poursuit Taoutel, j'ai été à l'église et j'ai vu qu'il n'en restait pratiquement que des débris par terre, j'ai pris l'initiative de les ramasser et j'ai tout de suite contacté, malgré tous les malheurs qui nous avaient frappés ce jour-là, Nadia El Hajj, artiste vitrailliste ; qui plus tard, contacte Catherine Nasr, artiste vitrailliste aussi, et quand le projet s'est mis en place, nous avons obtenu la bénédiction du Pr Daccache, l'encouragement du P. Chebli et le soutien du P. Denis Meyer qui m'a autorisé à produire quelque chose avec ces débris-là. Et donc ce soir, nous nous sommes là pour inaugurer ce mémorial, qui n'aurait pas été possible sans l'implication d’Elio Gebrael qui nous a offert le châssis qui doit contenir et protéger cette œuvre. »

Le Pr Salim Daccache a exprimé un message de solidarité et de résilience envers les victimes et leurs familles, dénonçant l'oubli et appelant à se souvenir de ceux qui ont péri ce jour-là. Il a déclaré avec émotion : « Un imbécile sans cœur est celui qui croit que nous oublierons que ce jour-là, le 4 août, une explosion a eu lieu dans le port de Beyrouth ; non, une explosion à Beyrouth même, fauchant des centaines de martyrs et de blessés de toutes parts. Ce jour-là, le sang des martyrs de différents âges, groupes et familles s'est mêlé, unissant les Libanais en offrant un seul sang sur l'autel de la patrie. »

« Seul un imbécile, poursuit Daccache, refuse d'admettre la faute commise à l'encontre des innocents martyrs qui sont partis, ainsi que des martyrs vivant dans leur douleur et leur désastre. Il craint à chaque fois qu'un Libanais rencontre son frère libanais, même au niveau de l'unité du sacrifice et de la destruction. Nous nous sommes réunis pour dire que nous n'oublierons jamais nos bien-aimés, en particulier ceux qui ont vécu dans les bras de cette Alma mater, l'Université Saint-Joseph. »

Catherine Nasr el-Khoury a partagé le processus créatif derrière ce vitrail, mettant en lumière le symbolisme des pièces restaurées et leur message d'espoir et de mémoire à travers l’envol des fleurs qui est dans la composition.

« C'est l'instant, souligne-t-elle, où on a senti nos cœurs, ou une partie de nous éclater en 1000 morceaux : des morceaux qui se sont envolés pour après se reposer sur un sol plein de poussière, de débris et de sang. Il nous a fallu pas mal de temps, beaucoup de courage et toute notre foi en Dieu pour ramasser ces pièces, pour en refaire une nouvelle partie qui vienne combler ce grand vide en nous. C'est un peu comme ça que les débris des vitraux de l'église Saint Joseph ont été ramassés et sont arrivés à l'atelier pour avoir une nouvelle vie dans un nouveau vitrail. Et nous avons voulu par la composition, mettre en valeur ces pièces qui sont très précieuses et en même temps rappeler l'instant de l’explosion. »

Quant à Nadia el-Hage, elle a évoqué l'aspect émotionnel de ce projet, soulignant la préservation de la mémoire à travers chaque fragment restauré. « Durant la conception de ce vitrail, précise-t-elle, et tout au long du travail, des parallèles se sont révélés constamment. Le premier parallèle qui m'est venu à l'esprit, c'est que le XIXe siècle représente l'âge d'or du vitrail. Et tenir entre mes mains ces pièces si précieuses détruites, ramène à mon esprit les vies si précieuses perdues en ce 4 août 2020. »

« Le 2e parallèle qui s'est établi, ajoute el-Hage, c'est que d'habitude académiquement dans le monde du vitrail, lorsque l'on restaure une œuvre détruite ou endommagée, les vides sont comblés en reproduisant aussi fidèlement que possible la technique et le style des pièces originales pour cacher la perte et redonner son aspect entier au vitrail. C'est une chose impossible à faire avec des vies perdues et irremplaçables. Ici, dans cette œuvre, le vide ne se comble pas, il se fait sentir et la mémoire des victimes est sauvegardée à travers ces pièces qui ont été préservées. »

« La 3e parallèle, poursuit-elle, et c'est celui qui m'a le plus marquée, c'est le fait que la plupart des pièces qui nous ont été remises étaient cassées, par contre les fleurs étaient les seules pièces dont la majorité était entière. C'est comme si je tenais en main une manifestation physique de l'âme des victimes et de leur mémoire qui restera à jamais vivante dans le cœur de leur famille et leurs proches, comme ces fleurs seront à jamais préservées. »

Les parents des victimes ont ajouté leur voix à cette cérémonie, par le biais du mot prononcé par Dr Nazih el-Adm, qui a déclaré que ce vitrail représentait les cœurs brisés des victimes, et a exprimé la détermination des parents à poursuivre le combat pour la justice.

« Nous vivons actuellement dans un territoire d'injustice et de supplice, martèle-t-il. L'injustice ayant mené au supplice et qui risque de se répéter à tout moment. Nous les regarderons toujours dans les yeux pour leur faire peser le poids de ce crime. Le crime du silence, celui de nous obliger à nous taire. Nous ne nous tairons jamais. Nous les poursuivrons jusqu'à la fin des temps. Et si nous nous mourrons et que nous suivons nos victimes, il y aura nos enfants et nos petits-enfants pour poursuivre le combat. C'est devenu pour nous un combat de liberté. »

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