Photo prise par Yasser GHAROONI
L’Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris présente actuellement, et jusqu’au 4 janvier 2026, l’exposition « Photographier le patrimoine du Liban, 1864-1970 », un voyage dans l’histoire du Liban à travers de rares photographies prises et conservées par les Jésuites à la Bibliothèque Orientale de l’USJ.
Dans le cadre de cette exposition, les commissaires, M. Joseph Rustom (Directeur de la Bibliothèque Orientale) et Mme Gassia Artin (Directrice du Bureau administratif de l'USJ à Paris) ont accepté de répondre à quelques questions, mettant en lumière leur choix et l’importance historique de cette initiative.
1. D’où est venue l’idée de cette exposition ?
L’exposition est née à la suite d’une proposition de Gassia Artin auprès de l’IMA suite à l’entrée de 34 sites libanais sur la liste de protection renforcée de l’UNESCO. L’IMA a été enthousiaste pour cette proposition. Les 150 ans de l’USJ et de la BO étaient également une occasion importante pour célébrer le patrimoine archéologique du Liban dans un lieu aussi prestigieux que l’IMA. Le soutien du Président Lang à cette exposition a été inconditionnel dès le premier jour.
2. Comment et pour quelles raisons avez-vous choisi la période 1864-1970 ? Pourquoi s’arrêter là ?
Sélectionner parmi les quelque 400 000 clichés qui constituent le fonds photographique de la Bibliothèque Orientale n’est pas une évidence. Nous avons pour cela axé notre réflexion et notre choix sur les photographies inventoriées couvrant cette période 1864-1970.
3. Comment la photographie - et plus largement l’art - peut-elle retranscrire l’histoire d’un siècle ?
Les pères jésuites ont su valoriser par leur documentation foisonnante la richesse archéologique de la région. Revenus au Liban à partir de 1831, ils étaient prédisposés à l’étude de l’Antiquité gréco-romaine ainsi qu’à celle des langues et des religions anciennes et ont saisi les différents sites et monuments dans le cadre de leurs recherches (fonds Alexandre Bourquenoud s.j., fonds René Mouterde s.j.). Plus encore, ils ont été pionniers dans les découvertes sur la préhistoire du Liban (fonds Maurice Tallon s.j., fonds Sébastien Ronzevalle s.j.), et en matière d’archéologie aérienne et maritime (fonds Antoine Poidebard). Parmi ces ressources abondantes, notre choix s’est porté sur les clichés représentant le mieux chaque région et ses ressources ainsi que les sites mis en danger durant la guerre.
4. Pourquoi cette exposition prend-elle place dans un contexte de perte - bombardements, destruction du patrimoine ? S’agit-il d’un acte de résistance, d’un appel à la mémoire collective, ou d’un moyen de préserver le patrimoine menacé ?
En ce temps de grande instabilité politique, cette exposition montre que les trésors de la Bibliothèque Orientale sont un élément majeur pour la compréhension du passé du Liban et pour la construction de son patrimoine, de son identité et de son futur. Malheureusement, les photographies permettent aussi de documenter des changements moins heureux, tels que la destruction de sites, la grotte d’Antélias ou l’édicule de Hosn Niha, ou la défiguration du paysage, telle que celle de la baie de Jounieh, par un urbanisme sauvage.
5. En quoi la photographie a-t-elle été un outil de conservation du patrimoine pour les jésuites, et par quels moyens ont-ils mis en œuvre cette mission (cours, expositions, etc.) ?
Nous exposons 77 clichés, dont 65 en noir et blanc et 12 en couleur. Les clichés en couleur servent d’arrière-plan introduisant chaque région avec une focalisation sur l’élément humain, montrant la corrélation entre l’homme et son cadre géographique ou sa région d’appartenance. Le lien introductif entre ces deux éléments permet de questionner la place et le rôle de l’homme dans la préservation de son patrimoine archéologique, écologique, etc. Cette question est d’autant plus pertinente dans une situation où, à cause de la guerre, les habitants du Sud-Liban, de la Bekaa et de Beyrouth ont connu un déplacement forcé, la dévastation de leur environnement et où le patrimoine national a été fortement menacé.
Les fonds de la Bibliothèque Orientale sont un témoin inestimable de l’évolution de la photographie au Proche-Orient. Du plus ancien cliché (fonds Alexandre Bourquenoud s.j.), datant de 1864 et reproduit pour la présente exposition, aux photographies des années 1970 (fonds Varoujan Sétian), toutes les techniques photographiques ainsi que les différents supports sont représentés : du collodion à l’argentique en passant par les épreuves albuminées ; des plaques de verres aux supports souples ou en papier. Nous reprenons la diversité des techniques et des supports dans la présente exposition.
À la fois scientifiques et missionnaires catholiques, les pères jésuites ont vécu au plus proche des habitants des différentes régions. À côté du souci de documentation de leur apostolat, ils ont également photographié les Libanais dans leur quotidien avec, parfois, une véritable sensibilité.
Nous tenons enfin à remercier en premier le Président de l’IMA, Son Excellence Jack Lang, notre collègue co-commissaire de l’exposition, Eric Delpont et nos partenaires et mécène, la Fondation Boghossian, l’Institut national du patrimoine, les Archives nationales de France, ALIPH et l’Institut français du Liban pour leur soutien.
A propos des Commissaires de l'exposition
Joseph Rustom est directeur de la Bibliothèque Orientale, architecte du patrimoine et professeur associé à l'École Supérieure d’Architecture de Beyrouth (ESAR-USJ). Il est titulaire d'un doctorat en urbanisme (Berlin) et de masters en architecture (ALBA - Beyrouth), en conservation du patrimoine (Strasbourg) et en archéologie urbaine (Tours). Il a été chercheur associé auprès d’institutions allemandes, telles que le Forum Transregionale Studien, le Haus der Kulturen der Welt ou la Deutsche Forschungsgemeinschaft. Ses publications récentes explorent les liens entre l'architecture et le déplacement au Liban.
Gassia Artin est titulaire d’un doctorat en archéologie orientale de l’Université de Lyon 2. Elle a fait sa thèse sur le site de Byblos. Chercheuse associée à l’Archéorient (Université de Lyon 2), elle est également médiatrice culturelle au sein du service d’action éducative de l’IMA et directrice du Bureau administratif de l’Université Saint-Joseph à Paris. Ses recherches portent sur les pratiques funéraires du Levant à la période chalcolithique.
Dans les médias :
https://www.lorientlejour.com/article/1460861/ce-que-racontent-les-archives-photographiques-des-peres-jesuites-exposees-a-lima-un-siecle-plus-tard.html
https://www.youtube.com/watch?v=Un4gBQYXVKo