Joseph Comblin écrivait avec une lucidité presque prophétique : « Tous les chemins de la théologie mènent aussi à l’homme. L’humanité n’y est pas un objet parmi les autres : elle est au centre. Tous les objets qu’elle étudie gravitent autour de l’homme et n’ont pas d’autre fin que d’éclairer le destin de l’homme. » Cent cinquante années se sont écoulées, et pourtant, l’Université Saint-Joseph de Beyrouth demeure, contre vents et marées, fidèle à cette vocation incarnée. Elle est bien davantage qu’un établissement académique : elle est un signe d’Incarnation, une parole faite chair au cœur du monde, un souffle socratique qui murmure encore aujourd’hui, à travers le tumulte des crises : « Connais-toi toi-même. » Fidèle à sa mission, elle place l’homme au centre de sa quête, non comme un sujet d’étude isolé, mais comme l’horizon ultime de toute connaissance, la raison même pour laquelle on pense, on enseigne, on espère. En cette cérémonie solennelle, une question de relecture se pose : que nous a donc donné l’Université Saint-Joseph ? Je le dis sans détour : elle ne nous a rien donné mais elle nous a tout offert. Elle nous a conduits, avec et vers l’homme, à la contemplation du mystère, sous le regard exigeant mais bienveillant de la noblesse académique.
Nous étions timides, craignant les examens de langue, les rendez-vous d’entrée en début de parcours... Nous voici, quittant audacieux, libres, capables — comme le souhaitait Kant — de penser par nous-mêmes, d’être des femmes et des hommes capables de dire « non » : Non, l’homme n’est pas réduit aux blessures de son passé. Demandez aux diplômés en psychologie : l’homme est plus grand. Non, l’homme n’est pas un concept errant ; il est un être qui ose la liberté. Demandez aux philosophes : l’homme est plus grand. Non, l’homme n’est pas dépourvu du pouvoir de création ; il est folie versée sur la page poétique. Demandez aux littéraires : l’homme est plus grand. Non, l’homme ne subit pas les langues, il les habite, les traverse, les transfigure. Demandez aux traducteurs : l’homme est plus grand. Non, l’homme n’est pas un reliquaire de peuples ni une mémoire pétrifiée : il est relation vivante, tissée d’histoires et tendue vers l’avenir ; il est relation. Demandez aux diplômés en histoire et relations internationales : l’homme est plus grand. Non, l’homme n’est pas victime des sociétés ; il est bâtisseur d’un avenir commun. Demandez aux sociologues : l’homme est plus grand. Non, L’homme ne se réduit pas à ses fragilités, il est solidarité en acte. Demandez aux travailleurs sociaux : l’homme est plus grand. Non, l’homme n’est pas incapable de penser Dieu ; il porte en lui sa trace. Demandez aux théologiens : l’homme est plus grand. Non, l’homme n’est pas un dogme en rivalité ; il est dialogue vivant. Demandez aux diplômés du dialogue islamo-chrétien : l’homme est plus grand. Non, l’homme n’est pas une douleur figée dans l’existence ; il est souffle sur scène, lumière en mouvement. Demandez aux artistes du théâtre et du cinéma : l’homme est plus grand. Et si quelque discipline s’est glissée hors de ma mémoire, qu’il me soit simplement accordé de dire ceci : non, l’homme n’est pas ce qu’on lui assigne d’être ; il est le centre. Contemplez ces 492 figures, et vous saurez : l’homme est plus grand. Que nous a légué l’Université Saint-Joseph ? Une seule certitude, silencieuse et féconde : nous sommes plus vastes que nous ne l’avions jamais cru. Car l’homme est plus grand.
Il est des lieux qui éveillent l’esprit et façonnent l’âme. L’USJ est de ceux-là. Elle ne nous a pas formés pour un métier, mais pour une manière d’être : lucide, libre, habitée. Ici, apprendre fut un acte d’espérance, penser une forme de fidélité. Et si nous croyons aujourd’hui que l’homme est plus grand, c’est parce que vous, nos maîtres, avez cru en nous avant que nous n’osions croire en nous-mêmes. Recevez, dans le silence d’un merci, tout ce que les mots ne peuvent contenir : nous vous en sommes reconnaissants.