À l’ETIB, la Journée mondiale de la traduction conjugue tradition, innovation et IA 

Pour ses 45 ans, l’École inaugure deux salles équipées à la pointe de la technologie, lance un fonds de bourses et organise une table ronde internationale sur la traduction à l’ère de l’intelligence artificielle.
Jeudi 9 octobre 2025

 

OLJ / le 9 octobre 2025

Le 30 septembre, à l’occasion de la Journée mondiale de la traduction, l’École de traducteurs et d’interprètes de Beyrouth (ETIB), pilier de la Faculté de langues et de traduction de l’USJ (FdLT), a inauguré deux nouvelles salles équipées d’un matériel de pointe, grâce à une généreuse donation de l’association suisse ALAM (Liban Avenir Meilleur) et de la Fondation USJ.

La Salle Joseph Zaarour est désormais adaptée aux visioconférences, séminaires, tables rondes et soutenances à distance, répondant aux besoins d’un monde académique toujours plus connecté. La Salle Saint-Jérôme, quant à elle, est destinée aux étudiants et sert d’espace privilégié pour la formation en interprétation et l’organisation de rencontres académiques.

Pour marquer le 45e anniversaire de la fondation de l’ETIB, un protocole d’entente a été signé entre le recteur de l’USJ, le Pr Salim Daccache s.j., et la doyenne de la FdLT, la Pr Gina Abou Fadel Saad, afin de constituer un fonds de bourses « destiné à soutenir les étudiants de l’ETIB, afin que leur avenir soit à la hauteur de leurs rêves », comme le précise Cynthia Ghobril Andréa, directrice de la Fondation USJ, et auquel pourraient souscrire les amis et partenaires de l’école.

Au cours de la cérémonie d’inauguration, la Doyenne de la FdLT, s’est penchée sur les enjeux contemporains de la traduction et a présenté l’évolution de la discipline vers une véritable science : la traductologie.

Si la technologie est aujourd’hui omniprésente dans le métier de traducteur, elle ne remplace pas l’humain. Elle exige au contraire adaptation constante, veille technologique et formation pointue pour tirer le meilleur parti des outils de l’intelligence artificielle.

La professeure Saad a également souligné l’importance des compétences transversales à l’ère numérique : pensée critique, adaptabilité, intelligence émotionnelle, créativité, etc. Les traducteurs et les interprètes doivent devenir des professionnels « augmentés », capables de maîtriser la technologie pour mieux la mettre à leur service.

Donner la priorité à la quête du sens plutôt qu’à la lettre

La directrice de l’ETIB, Mary Yazbeck, est intervenue pour rappeler que traduire, loin d’être un simple exercice technique, constitue un véritable acte de recréation. Pour elle, traduire, c’est offrir à la pensée une seconde vie, dépasser les mots pour en révéler le sens et la portée humaine, valoriser la localisation et l’adaptation culturelle et renforcer le rôle stratégique des traducteurs comme bâtisseurs de passerelles entre les cultures, notamment dans le contexte arabe. Elle a également insisté sur l’importance de développer la langue arabe dans le domaine technologique, afin qu’elle alimente à terme les grands modèles de langage.

Le débat fondamental autour de la fidélité en traduction a été relancé par le Recteur de l’USJ. Il a évoqué l’ancienne controverse entre saint Augustin et saint Jérôme qui « revendiquait la traduction sens à sens plutôt que mot à mot, convaincu que la fidélité véritable ne réside pas dans la lettre mais dans le sens vivant qui éclaire les mots », a-t-il affirmé très justement en appelant à « donner la priorité à la quête du sens plutôt qu’à la lettre, car la littéralité ne donne pas toujours sens ».

Durant la table ronde au titre évocateur, « Saint Jérôme à l’épreuve de l’intelligence artificielle », Albert Moukheiber, docteur en neurosciences, psychologue et enseignant- chercheur, a plaidé pour une « vigilance épistémique » face à une technologie qui, bien qu’efficace, reste sujette à la subjectivité et aux erreurs. Il a mis en garde contre la confiance aveugle dans ces systèmes et alerté sur leurs limites, insistant sur le fait que les intelligences artificielles héritent des biais cognitifs humains. Selon lui, l’IA reflète souvent nos propres biais et croyances, ce qui peut conduire à une perception déformée de la réalité, voire à des malentendus profonds.

Les défis de la formation

Exposant les enjeux liés à l’intégration des technologies dans la formation des traducteurs et interprètes, la Pr Lina Sader Féghali, cheffe du Département d’interprétation à l’ETIB, a noté que les IA s’entraînent de plus en plus sur des contenus produits par d’autres IA, ce qui conduit à la génération de contenus imprécis et incohérents, ainsi qu’à un appauvrissement et une uniformisation des langues. Selon elle, l’IA est là pour durer et la mission de toute institution de formation, comme l’ETIB, est « de former de futurs professionnels qui savent réfléchir, agir et réagir en êtres humains créatifs et non en automates, autrement dit, d’investir dans les compétences intrinsèquement humaines ». « C’est en apprenant à interagir de manière constructive avec les outils d’IA que le traducteur humain apprendra à ne pas se contenter de la qualité suffisante que la machine peut produire, mais œuvrera pour la défier, voire la surpasser. »

Quant au professeur Bart Defrancq, président de la Conférence internationale permanente d’instituts universitaires de traducteurs et interprètes (CIUTI) et professeur à l’Université de Gand (Belgique), il a présenté l’expérience de l’usage des outils d’aide à l’interprétation (OAI) en cabine, soulignant des résultats mitigés selon les profils d’utilisateurs et insistant sur l’importance de la formation aux nouvelles technologies.

Enfin, Nidale Noun, cheffe de la gestion des conférences à l’UN-Escwa et ancienne de l’ETIB, a rappelé le rôle essentiel du traducteur en tant que créateur de sens.

La Journée mondiale de la traduction à l’ETIB confirme une fois de plus cette année que l’intelligence artificielle transforme profondément les pratiques, mais ne saurait remplacer l’intelligence humaine. Elle souligne surtout la mission de l’ETIB : former des professionnels capables de s’approprier les technologies tout en défendant une vision éthique et humaniste de leur métier.