Entretien avec Ruth Hassine Akatchérian – 15 ans d’histoire avec le SIDIIEF

2016

Ruth Hassine Akatchérian a été membre du conseil d’administration du SIDIIEF de 2000 à 2016, à titre de doyen, puis de doyen honoraire et représentante de la Faculté des sciences infirmières de l’Université St-Joseph au Liban. Elle fait partie des pionnières de la création de notre réseau mondial francophone. Au moment de son départ, le SIDIIEF souhaite rendre hommage au travail et à l’implication de Ruth qui, avec toute son énergie, ses compétences et son cœur, a contribué de manière exceptionnelle au rayonnement et à l’avancement de l’organisation. Avec beaucoup d’humilité, Ruth souhaitait que nous mettions ces quelques notes en guise d’introduction : ‘’C’est trop d’honneur pour moi et je vous remercie vivement de votre témoignage, mais je souhaite d’abord mettre en avant le SIDIIEF pour saluer les initiateurs de ce vaste projet et toute l’équipe fantastique qui les entoure, leur esprit créatif et parfois aventurier, ainsi que tous les promoteurs de cet ambitieux projet qui poursuivent l’idée initiale avec des réalisations parfois inédites et audacieuses. L’honneur leur revient pleinement et il est important de le souligner. J’ai aimé cette organisation pour sa mission simple et généreuse, pour son réseau francophone, pour les défis relevés et gagnés, pour les responsables et tous les collègues qui m’ont tant appris et enrichie. Et bien sûr, elle m’a permis de m’impliquer à fond pour une profession que j’aime et que je souhaite voir se développer, grandir et rayonner au service des personnes qui ont besoin d’aide dans les hôpitaux, dans les centres de santé ou dans la communauté, et ce, partout dans le monde francophone. J’ai mobilisé, au sein du SIDIIEF, notre faculté et toutes nos infirmières dans les institutions de formation, dans les hôpitaux et dans tous les champs de l’exercice professionnel, qui m’ont fait confiance et qui ont adhéré avec enthousiasme au SIDIIEF qui, dès le début, a pu compter sur 300 adhésions d’infirmières et d’infirmiers libanais. Notre groupe a le français comme langue culturelle. Nous aimons cette langue et nous aimons communiquer en français avec la communauté infirmière de par le monde.’’ La rencontre Tout projet commence par une idée; une idée qui devient évidence et qui vise à répondre à un besoin. Ruth Akatchérian se souvient encore de la première fois où elle a entendu parler du projet de création d’un secrétariat international voulant regrouper toutes les infirmières et les infirmiers de l’espace francophone. C’était en 2000, à l’occasion de la première rencontre internationale de la communauté infirmière francophone organisée par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). Elle avait profité de son passage au Québec pour solliciter une rencontre avec la présidente de l’OIIQ, Gyslaine Desrosiers, afin d’échanger sur leurs réalités respectives. Lors de cet entretien, la présidente lui avait exposé son projet de créer un réel lieu de rencontre et d’échanges pour les infirmières et les infirmiers francophones : le SIDIIEF. Dès le départ, Ruth fut séduite par l’idée visionnaire, unique et novatrice du projet : un réseau voué uniquement à l’échange du savoir infirmier en français. Le Conseil International des Infirmières (CII) existait, mais était anglophone et ne sollicitait pas les infirmières ou les institutions, seulement les représentants des associations nationales. La guerre civile qui venait de prendre fin au Liban avait laissé des marques. Tout se faisait au jour le jour; les grands chantiers et les projets d’avenir pointaient timidement à l’horizon. La Faculté des sciences infirmières de l’Université St-Joseph avait signé, en 1995, une entente de collaboration avec celle de l’Université de Montréal (Québec, Canada). Par ces échanges, Ruth voyait au Québec tout le potentiel et le dynamisme de la profession, en plus du caractère unique des initiatives mises de l’avant. Elle souhaitait que le Liban suive ces traces. Dans ce contexte, Ruth voyait, dans la participation au SIDIIEF, une façon de développer et de faire rayonner la profession. Le SIDIIEF venait donner un nouveau souffle à la profession en offrant un projet mobilisateur, une porte ouverte sur le monde. Le SIDIIEF devenait un visa donnant accès à des savoirs infirmiers francophones sans frontières. La motivation La pratique infirmière au Liban a des particularités uniques et contextuelles au Moyen-Orient. Il y a 15 ans, entre autres, la pratique était encore très conservatrice et le champ d’intervention limité par les médecins. Il faut observer que, au Liban, la pratique médicale relève du système privé qui domine largement le système public et la pratique infirmière libérale n’existe pas. L’adhésion de la FSI de l’Université St-Joseph de Beyrouth au SIDIIEF a tout de suite été vue comme un moyen supplémentaire d’élargir les horizons, de partager les connaissances et les expériences avec le monde francophone qui bénéficierait non seulement pour l’institution, mais plus largement pour la profession infirmière au Liban. Ruth souhaitait également faire connaître ce qui se faisait au Liban. Deux motivations animaient Ruth : la première formelle, soit de faire connaitre et diffuser la mission du SIDIIEF qui est la mise en réseau des infirmières et la deuxième, plus personnelle, de faire rayonner la pratique infirmière libanaise et montrer ce que l’Orient pouvait apporter à la profession, notamment au niveau des relations humaines, ainsi que des valeurs de compassion et de solidarité. Une fois convaincue, Ruth devait maintenant convaincre. Pour se développer, il fallait rayonner. C’est ce qu’elle défendait au niveau des institutions et des infirmières. La profession infirmière libanaise se devait d’être connue et reconnue avec toutes ses spécificités et, pour se faire, le SIDIIEF était une plateforme idéale. Ruth est fière de pouvoir dire que la profession au Liban, ayant été auparavant davantage sous l’autorité des médecins, est aujourd’hui plus autonome. Et ce, d’autant plus avec la création, en 2003 après 40 ans de travail, d’un ordre professionnel infirmier. Ruth tient à souligner qu’elle a toujours pu compter sur le SIDIIEF pour appuyer les initiatives d’émancipation de la profession infirmière libanaise. Le parcours D’emblée, lorsque Ruth revoit les quinze dernières années, elle constate que, dès le départ, ce fut une histoire d’amour avec le SIDIIEF. C’est le sentiment et le souvenir qu’elle conservera de son aventure avec l’organisme. Ensuite, elle exprime sa reconnaissance aux infirmières libanaises qui l’ont largement suivie dans cette aventure. Elle conserve d’ailleurs toute cette foi et cet enthousiasme contagieux qui lui ont permis de les mobiliser. Elle mentionne, de façon plus personnelle, que son expérience avec le SIDIIEF l’a énormément enrichie, par les échanges avec toutes les personnes provenant de différents continents. Un des moments forts de son expérience avec le SIDIIEF fut la réunion du conseil d’administration au Liban en mai 2010. Le conseil d’administration a été invité par les hauts responsables de l’université et par les directeurs des hôpitaux, et les infirmières sont venues en grand nombre à l’assemblée annuelle du SIDIIEF. Elles ont pu échanger directement avec les membres du conseil d’administration et mieux visualiser la mission du SIDIIEF, ainsi que toute l’importance de ce réseau d’échanges. Ruth décrit ce moment comme essentiel, mais également très touchant. Elle se souvient avec émotion que la présidente, Gyslaine Desrosiers, avait préféré partager un repas avec les infirmières plutôt que d’accepter une invitation du représentant du Canada au Liban. Elle aurait aimé poursuivre son travail de mobilisation, mais, comme elle le dit bien humblement : le bon leader est celui qui sait céder la place. D’autres suivront et prendront le flambeau. Le Liban, aujourd‘hui moderne, doit rester dans ce réseau international et participer à ce grand partage de connaissances et d’expériences. Ruth souligne d’ailleurs la très belle initiative que sont Les Grandes Conférences qui soutient parfaitement la mission de plateforme d’échanges du SIDIIEF. Souhait pour l’avenir Ruth souhaite que le SIDIIEF poursuive sa mission de mise en réseau francophone. Le partage du savoir en français est un défi de tous les instants en cette ère de mondialisation qui favorise plutôt l’uniformisation des échanges en langue anglaise. L’organisme doit conserver son caractère visionnaire et dynamique afin de toujours contribuer à l’avancement d’une profession qui, dans certaines régions de l’espace francophone, reste encore un peu isolée. Il faut continuer à promouvoir l’importance de la profession infirmière dans l’amélioration des soins aux patients et que celle-ci reste au centre du système de santé. Pour le Liban, les enjeux de la profession sont aujourd’hui : la formation universitaire jusqu’au doctorat en sciences infirmières, la sécurité des patients, l’éducation thérapeutique des malades, le développement de la recherche et, enfin, la valorisation des infirmières dans les régions éloignées. Ruth considère qu’elle a beaucoup de chance d’être restée quinze ans au sein du SIDIIEF et que son attachement à cet organisme demeurera à jamais. Ce fut un privilège pour elle de participer si étroitement au développement de ce réseau unique et essentiel. En souvenir du chemin parcouru avec le SIDIIEF, Ruth termine en disant que nous devons toujours nous souvenir que nous sommes beaucoup plus forts ensembles que seuls. Et, comme le dit Anatole France : « J’ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. »