Exposition de l'oeuvre photographique de Varoujan Sétian

Exposition organisée par la Photothèque de la Bibliothèque Orientale de l’USJ sous le patronage de M. Varouj Nerguizian
11 avril 2019
La Bibliothèque Orientale

J’ai même rencontré des Libanais heureux

Les photos de Varoujan Sétian (1927-2003) exposées à la Bibliothèque orientale ne laisseront personne indifférent.

Fady NOUN | L'Orient-Le jour


Éblouissement. La trace d’une larme sur la joue de Feyrouz, le songe d’une nuit d’été à Baalbeck, Schéhadé dévorant un livre, la jeune Nadia Tuéni dans la radieuse beauté des Textes blonds, l’extraordinaire capacité à rebondir de Camille Chamoun, qui se lit dans son regard, la limpidité d’un jeune imam, Moussa Sadr, qui prend des risques.

Les photos de Varoujan Sétian (1927-2003) exposées à la Bibliothèque orientale ne laisseront personne indifférent. Portraitiste et paysagiste, son œuvre restera à jamais le témoin et la mémoire visuelle d’un Liban heureux. Beaucoup de ses clichés sont d’ailleurs des « classiques ».

« Pour les contemporains de cette époque, ce sera une bouffée de nostalgie ; pour les autres, des images d’un paradis perdu », commente, la gorge nouée, Levon Nordiguian, curateur de cette magnifique exposition et directeur de la Photothèque de l’USJ, qui conserve, grâce à une donation de Varouj Nerguizian, la totalité des clichés de Varoujan.

« Dans l’histoire de chaque nation – même si certains n’acceptent pas de dire que le Liban est une nation – il y a toujours des moments de bonheur plus que d’autres et il y a des personnalités qui marquent l’histoire politique, sociale, culturelle et artistique plus que d’autres a souligné, à l’inauguration de l’exposition, le recteur de l’USJ, Salim Daccache s.j. Dans la vie du Liban comme nation, il y a eu des moments de bonheur, de paix et de croissance économique (...). Varoujan fait partie d’une poignée de photographes qui ont forgé l’image d’un Liban qualifié alors de “la Suisse de l’Orient”. »

Par transposition, le catalogue de l’exposition appelle ces années d’or les « Trente glorieuses » (1945-1975), reprenant un mot de l’économiste disparu Jean Fourastié. Ce n’est pas exactement ça. C’est plutôt les « Trente insouciantes » années d’un Liban où les airs de valse continuaient à charmer les parterres de danse, pendant que le Titanic prenait l’eau et commençait à sombrer. Certes, une certaine « classe moyenne » prospérait loin de toute précarité économique, mais, parallèlement, la misère et l’incurie politique se développaient aussi, et les nuages de la guerre civile s’amoncelaient au-dessus du Liban. Varoujan vivra assez longtemps pour fixer sur sa pellicule les images d’un centre-ville dévasté, qu’il avait saisi dans le bruissement de sa circulation incessante. Encore un chef-d’œuvre de la collection, quand les Mercedes de service n’avaient pas encore détrôné les belles limousines américaines. Cet accrochage se scrute, en effet. On y apprend beaucoup des détails.

Le temps des cartes postales

Presque tous les hommes politiques, du monde des arts et des lettres, ont posé devant les caméras de Varoujan. Certains de ces portraits ont d’ailleurs acquis un caractère iconique. Nombre de chefs d’État arabes firent appel à ses services. Photographe attitré de Feyrouz, il a su capter les moments forts de la diva en concert.

C’était encore le temps des cartes postales. Et beaucoup de photos de Varoujan ont la qualité d’intemporalité caractéristique de cet art populaire. Clarté de l’image, pureté des lignes, luminosité, profondeur de champ, saisie de l’instant opportun.

Avec Manoug Alémian et Roland Sidawi, Varoujan formait le noyau central d’un petit cercle de photographes professionnels dont Beyrouth prisait les clichés. Les Arméniens y étaient majoritaires, ayant ramené d’Istanbul une longue expérience dans un domaine que l’islam, méfiant envers l’image, laissait à d’autres. Leur production était alors stimulée par trois organismes, le Conseil national du tourisme, la MEA et le comité du Festival de Baalbeck. La création d’Israël, la montée des périls, la ceinture de misère autour de Beyrouth, le nassérisme, les fedayin conquérants étaient aux portes. Mais à un moment de son histoire, seule « l’image » du Liban et sa douceur de vivre comptaient.

L’exposition Varoujan ne s’est pas faite toute seule. Toute une équipe y a travaillé avec acharnement, et le rez-de-chaussée de la Bibliothèque orientale, rue de l’Université, a été réaménagé à cette occasion, renforçant ainsi le caractère culturel de ce site historique.

Urbanisation « brutale et rapide »

Compte tenu du nombre impressionnant de clichés pris par Varoujan, il a fallu faire des sacrifices. L’exposition retient quelques clichés des visites de Varoujan en Arménie soviétique. En revanche, ses vues panoramiques du rassemblement de dizaines de milliers d’Arméniens en 1965 à la Cité sportive Camille Chamoun, pour le cinquantenaire du génocide, explosent dans la mémoire.

Car au-delà de l’aspect purement esthétique, l’œuvre de Varoujan présente ainsi un indéniable intérêt documentaire et historique. Certains clichés de la Montagne libanaise ou du centre-ville sont de véritables documents d’un temps d’urbanisation « brutale et rapide », pour reprendre des termes de Levon Nordiguian. Une exposition iconique.

 

Lieu : au rez-de-chaussée de la Bibliothèque orientale, Achrafieh, dans les salles et cimaises nouvellement aménagées.

Date : du 11 avril au 31 mai 2019, tous les jours de 10 h à 17 h (sauf dimanches et jours fériés).