Mot du Doyen de la FdLT pour la journée de la langue française

20 mars 2019
Collaborateurs
  • EDAN


On m’invite aujourd’hui à parler de la langue française que nous ne célébrons pas une fois par an mais tous les jours et à chaque instant. En faire l’éloge, c’est comme parler d’un être cher, d’un être auquel on voue de l’amour. Quand l’amour est authentique et quand la relation est des plus intimes, on ressent une sorte de pudeur à en parler : les mots foisonnent et se bousculent ; ils n’arrivent plus vraiment à habiller la pensée et le sentiment. On les sent impuissants à traduire l’ampleur de ce qu’on voudrait exprimer. Comment définir et décrire cette relation à une langue qui nous accompagne depuis nos premiers balbutiements, qui nous emboîte ensuite le pas sur le chemin de la vie, modelant notre comportement et façonnant notre manière de penser, de rêver, de chanter, d’écrire et même de prier ; une langue qui laisse des traces indélébiles sur ce que nous sommes et devient partie intégrante de notre identité ?

Je suis d’un pays qui, au long de son histoire, a vu passer d’innombrables peuples. Ceux-là n’ont laissé derrière eux que pierres froides et vestiges, certes imposants mais sans âme et sans vie. Si nous n’avons, parmi toutes les langues qui ont transité par le Liban, appris que le français, c’est parce que les Français ont choisi d’investir, non pas seulement dans la pierre mais aussi et surtout dans l’homme, dans son éducation, multipliant les écoles et fondant une grande université. Apprendre une autre langue que la sienne, c’est s’enrichir d’une deuxième culture qui vient se greffer sur la sienne propre. C’est s’en rapprocher jusqu’aux confins de l’appropriation, voire même de l’identification, l’identification à l’Autre, qui cesse d’être « autre » ou étranger pour devenir une sorte d’Alter ego, un « autre soi-même ». C’est sans doute pour cette raison que dans mon pays, nous ne qualifions pas le français de langue étrangère mais de langue seconde, que d’aucuns refusent de parler du « français au Liban », préférant parler du « français du Liban », et que nous nous sentons chez nous à Paris, tout comme les Français se sentent chez eux à Beyrouth.

Je suis de cette université qui, fondé il y a 145 ans par les jésuites français, n’a cessé de porter haut le fanion du français jusqu’à devenir « en Orient le dernier sanctuaire, où l’homme peut toujours s’habiller de lumière », pour emprunter à Nadia Tuéni ces beaux vers écrits pour Beyrouth. Malgré la marée déferlante et dévastatrice de l’anglophonie, notre Université Saint-Joseph a su demeurer le bastion invincible de la francophonie et un phare rayonnant tout alentour. D’ailleurs, ne clame-t-elle pas tout haut et tout fort dans sa charte, qu’elle « entend promouvoir à titre spécial la culture de langue arabe et la culture de langue française telles qu’elles sont assumées par l’identité culturelle libanaise » ? Par son adoption des valeurs ignaciennes et l’enseignement qu’elle a choisi de dispenser majoritairement en langue française, l’USJ a formé les générations d’hier et compte former celles de demain : des femmes et des hommes authentiques qui osent s’habiller de la lumière de la vérité et briller dans le monde grâce à une éducation et à une identité nulle part pareilles.

Je suis d’une institution qui a, depuis de nombreuses années, œuvré pour la promotion de la langue française, de par ses cours de mise à niveau et de perfectionnement linguistique, mais aussi en adoptant la langue française comme langue B dans la combinaison linguistique de son Ecole de traducteurs et d’interprètes. Notre Faculté de langues et de traduction est fière de vous présenter aujourd’hui une lecture de textes français écrits par de jeunes syriens auxquels l’USJ s’est engagée à inculquer la langue française pour qu’ils puissent y entamer des études universitaires et construire leur avenir à partir de cet havre d’espérance et de sérénité afin que soient oubliées l’amertume et la violence vécues. Notre Ecole de traducteurs et d’interprètes est également heureuse de vous présenter une lecture de textes d’auteurs libanais traduits par ses étudiants dans un français qui a su en garder tout le charme et tout l’envoûtement.

J’aimerais enfin remercier la CESAO, en la personne de sa Directrice de la Section des services de conférence, Mme Nidale Noun, qui a bien voulu associer son université, l’USJ, à cette belle initiative visant à célébrer la gracieuse langue de Molière, si chère à nos cœurs.

 

                                                                                                                                Gina ABOU FADEL SAAD

                                                                                            Doyen de la FdLT

                                                                                               Directrice de l’ETIB