La grande solitude des malades du coronavirus

L’ancien président de l’ordre des médecins, Raymond Sayegh raconte son expérience.
Mardi 31 mars 2020

Par Nada Merhi, in L'Orient - Le Jour, mardi 31 mars 2020

L’ancien président de l’ordre des médecins, Raymond Sayegh, atteint du coronavirus et récemment sorti de l’hôpital, est toujours en convalescence. Il raconte à « L’Orient-Le Jour » son expérience avec cette maladie, « lourde à tout point de vue, principalement au niveau psychologique ».

C’est le 8 mars que le Dr Raymond Sayegh, ancien président de l’ordre des médecins, a commencé à sentir les premiers symptômes de la maladie. «J’étais mal en point et j’avais des courbatures», se souvient l’ancien chef du service de gastro-entérologie à l’Hôtel-Dieu de France et actuel chef de département de gastro-entérologie à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph. Le même jour, il apprend que l’un de ses patients, qu’il a rencontré quelques jours plus tôt dans le couloir, a été admis à l’hôpital pour une pneumonie et diagnostiqué positif au coronavirus. «Je ne sais pas qui m’a contaminé», confie-t-il, joint au téléphone par L’Orient-Le Jour. «C’est probablement l’un des nombreux malades que j’ai reçus, dont plusieurs venaient des pays arabes ou africains», ajoute-t-il. Ne se sentant pas mieux, il appelle son assistante le soir et lui demande d’annuler ses rendez-vous pour les deux jours suivants. «J’ai référé deux patients à qui je devais passer des endoscopies à mes collègues, poursuit le Dr Sayegh. Le lundi matin, je me rends à l’hôpital pour effectuer un test PCR, lequel s’avère être négatif.» Son état de santé ne s’améliorant pas, le médecin se rend deux jours plus tard à l’hôpital, mais cette foisci pour un examen sanguin, «qui n’avait rien d’anormal», et une radio thoracique, «qui a révélé une pneumonie». Un deuxième test PCR effectué le 12 mars, ainsi qu’un CT scan ont confirmé la maladie. «Le CT scan montrait un aspect typique d’une pneumonie sévère à Covid-19», explique-t-il.

« J’ai frôlé l’intubation »
Le Dr Sayegh est immédiatement admis dans l’unité d’isolement de l’Hôtel-Dieu de France, réservée à la prise en charge des patients contaminés par le coronavirus. «Pendant cinq jours, mes besoins en oxygène augmentaient, raconte-t-il. Je respirais plus difficilement. Je commençais à avoir besoin de neuf litres d’oxygène par minute, alors qu’au début j’étais à un litre.» La décision de l’admettre en réanimation est alors prise. Le Dr Sayegh occupe ainsi l’un des quatre lits destinés aux patients du Covid-19. «Rapidement, les autres lits ont été occupés par des patients qui ont été intubés, raconte-t-il. J’ai moi-même frôlé l’intubation, mais d’un commun accord avec le pneumologue, nous avons décidé de patienter, sachant que je prenais part à tous les choix thérapeutiques.»
La maladie en était à son huitième jour d’évolution, «qui représente en général le pic». «Le lendemain, les variables se sont légèrement améliorées, ajoute le Dr Sayegh. J’ai passé une journée supplémentaire dans ce service avant d’être transféré de nouveau en unité d’isolation. Progressivement, les besoins en oxygène diminuaient et je retrouvais de l’appétit.»
Finalement, le 26 mars, la décision de le faire sortir de l’hôpital est prise. Au terme de deux semaines d’hospitalisation, le médecin rentre ainsi chez lui. Avec un isolement requis d’encore deux semaines. Il se confine ainsi dans un studio qu’il possède dans l’immeuble où il habite. «Je suis en convalescence, je ne suis pas encore guéri, mais je vais mieux, assure le Dr Sayegh. Je me surveille médicalement.»
Et de poursuivre: «Je suis toujours isolé comme à l’hôpital, mais au moins, je suis chez moi. J’ai mes affaires, mon ordinateur, ma télévision, mon espace. Mes repas sont déposés devant la porte du studio. Je communique avec ma famille par téléphone. Mon linge est lavé à part, selon les recommandations. Lorsque je veux voir mon épouse ou ma fille, elles descendent au parking et nous nous mettons à dix mètres de distance l’un de l’autre. Nous discutons, avec nos masques bien en place, avant de partir chacun de son côté.»
Jeudi, le Dr Sayegh effectuera sa première sortie… à l’hôpital, «pour un nouveau test PCR». «En fonction des résultats, il y a de fortes chances que je puisse terminer ma période d’isolement dimanche ou lundi», espère-t-il.

Donner sans compter
 
S’il y a une chose sur laquelle l’ancien président de l’ordre des médecins insiste, «c’est la grande implication du corps médical, mais surtout soignant, au service des patients». «Ces personnes sont en contact permanent avec nous et ne reculent devant rien, affirme-t-il. Ils donnent sans compter. C’est merveilleux, sachant qu’ils s’exposent à de grands risques.»
«Cette maladie a aussi un aspect psychologique très lourd tant pour le patient que pour sa famille et qu’il ne faut pas non plus négliger, d’autant qu’on se retrouve seul, reprend le Dr Sayegh. Habituellement, les patients ont toujours quelqu’un à leur chevet. Ce qui n’est pas le cas avec le Covid-19. On est tout le temps seul. On risque de mourir et d’être enterré seul. C’est très lourd. Si on peut s’en offrir le luxe, il faudrait assurer un support psychologique en ligne aux familles des malades et aux patients en isolement. J’étais privilégié, parce que tout le monde me connaissait.» 
«La prise en charge de cette maladie nécessite de grandes ressources, notamment en équipements de protection individuelle qui sont jetés à chaque fois qu’un des infirmiers ou médecins entre dans l’unité. Il faudrait à tout prix aider les hôpitaux privés et publics qui prennent en charge cette maladie», insiste le Dr Sayegh.
S’adressant à ses confrères, le médecin les appelle à «la vigilance et à considérer que tout malade est potentiellement porteur du virus». «Pour l’instant, il faut faire une pause sur les cas à froid, gérer les malades chroniques, répondre aux urgences tout en continuant notre mission de soignants», avance-t-il. Et pour ce qui est des personnes qui rechignent encore à respecter les règles de confinement et de mobilisation générale, le Dr Sayegh relève que «personne n’a le droit d’inventer une conduite personnelle, alors qu’il y a une conduite médicale, sanitaire et nationale. Il faut être rigoureux, obéir aux instructions et les respecter au maximum. Il ne faut pas agir d’une manière inconsciente.»
«Dès que je serais rétabli, je vais reprendre le travail et aider mes collègues dans la prise en charge des patients du coronavirus, comme m’occuper des autres malades chroniques et habituels», conclut-il.