Le casse-tête du déconfinement

Vendredi 1 mai 2020

Publié par Muriel Rozelier, in Le Commerce du Levant, vendredi 1 mai 2020.   

Tester, tracer et confiner de manière sélective. C’est la recette des pays qui lèvent les restrictions liées au Covid-19. Au Liban, où la courbe épidémiologique est rassurante, les autorités ont annoncé une sortie progressive du confinement, en misant sur une accélération du dépistage et le développement de nouveaux outils de traçabilité.

D’un point de vue strictement sanitaire, le maintien du confinement aurait fait sens.

« Avec le ramadan, le danger est que la courbe épidémiologique reparte à la hausse alors que de nombreuses familles vont chercher à se réunir », estime Inaya Ezzedine, députée Amal et fondatrice d’un laboratoire d’analyses médicales. Mais dans un pays en récession, où les aides publiques, pour freiner les conséquences économiques du Covid-19, sont quasi inexistantes, l’urgence est aussi économique. Chaque semaine de confinement représentant, selon des estimations, quelque 100 millions de dollars de pertes supplémentaires.

Des commerçants ouvraient en catimini, des employés, jusque-là confinés, repartaient travailler un jour sur deux, des patrons prenaient le camion de leur société pour aller livrer de la marchandise en douce...

Pour les autorités, il était d’autant plus difficile de justifier le prolongement de l’arrêt total de l’activité que le pays semble avoir réussi à endiguer la première vague de l’épidémie.

En effet, le nombre de nouvelles hospitalisations quotidiennes décline, ce qui permet de croire à un scénario de courbe “en plateau”, c’est-à-dire de stabilisation effective de l’épidémie dans les prochaines semaines. Le pays comptait, le 30 avril, quelque 24 morts et 721 personnes contaminées, selon les chiffres du ministère.

Parmi les indicateurs permettant de jauger de la situation sanitaire du pays, le taux de reproduction du virus (Ro), c’est-à-dire le nombre moyen de nouveaux cas causés par un patient infecté dans une population sensible, est l’un des plus importants. Si le taux est d’un, cela signifie qu’une personne infectée transmet à une autre le Covid-19. S’il vaut 2, cela veut dire qu’un malade contaminera deux personnes, qui ensuite en contamineront deux autres… Pour que l’épidémie s’arrête en quelques semaines, il faudrait donc que le Ro tombe en dessous de un.

Or cela semble être le cas au Liban, aux vues des analyses menées par la Lebanese Epidemiological Association : à partir des chiffres recensés par le ministère de la Santé, l’association situe ce taux de reproduction entre 0,5 et 1 pour la semaine du 10 au 16 avril. Désormais, donc, un porteur du virus infecte moins d’une personne.

Même s’il faut garder une marge d’erreur compte tenu d’outils statistiques insuffisamment précis, ce faible taux de reproduction pourrait indiquer que le Liban s’apprête à franchir le fameux “pic épidémique” qui marque l’acmé de la première vague de Covid-19. «La courbe épidémiologique du pays semble rassurante, confirment Michèle Kosremelli Asmar et Ibrahim Bou Orm, spécialistes des questions de santé publique à l’Université Saint-Joseph (USJ). Du moins s’il n’y a pas de nouvelles sources de contamination parmi la population infectée et si le contrôle des rapatriés se maintient comme il est aujourd’hui.»

Sortir du confinement, oui, mais comment ?

Pour ne pas se laisser dépasser, le gouvernement a officialisé un plan prudent, “progressif”, par phases, qui pourra être révisé si la courbe de la pandémie devait repartir à la hausse, risquant de créer un engorgement des hôpitaux.

La plupart des commerces de détail ont été autorisés à ouvrir le 27 avril, de même que le secteur hôtelier et les métiers de l’artisanat. Mais sous certaines conditions : le gouvernement maintient les restrictions de mouvements imposées à partir du 11 mars. Un couvre-feu élargi reste en place (de 5 heures et 21 heures) et la circulation alternée des véhicules se maintient. Ce qui devrait créer aussi une alternance de facto sur les lieux de travail, obligeant les entreprises à respecter les règles de distanciation sociale, même quand elles n’ont pas aménagé spécifiquement leurs locaux.

Le 4 mai, les autorités envisagent la réouverture des restaurants, mais à seulement 30 % de leur capacité d’accueil. Trois semaines plus tard, ils pourront passer à 50%. Une phase particulièrement délicate à appréhender, selon la plupart des professionnels de la santé qui espéraient que les lieux de “promiscuité sociale” resteraient fermés le plus longtemps possible. Les autres lieux touristiques ou culturels, comme les musées, les cinémas, ou les salles de sport (indoors), resteront d’ailleurs prohibés jusqu’à la dernière phase du plan de déconfinement. Le gouvernement interdisant même après le 8 juin les grands rassemblements qu’ils soient publics (festivals) ou privés (mariages). Les personnes de plus de 65 ans, elles, sont priées de rester confinées.

«L’important c’est qu’il y ait une stratégie déconfinement en dégradé et une surveillance épidémiologique stricte pour limiter les risques de nouvelles vagues, en attendant l’arrivée d’un vaccin ou une augmentation suffisante de l’immunité collective», affirment Michèle Kosremelli Asmar et Ibrahim Bou Orm.

L’immunité collective

En l’absence d’un vaccin, seules les personnes, qui ont été malades, ont vaincu le SARS-CoV-2 et ont développé les anticorps nécessaires à leur protection, et sont en théorie immunisées. C’est ce qu’on appelle l’immunité naturelle. Dans un groupe donné, les chercheurs estiment qu’il faut que 60 à 70% des individus aient développé cette immunité naturelle contre le coronavirus pour ne plus craindre une propagation à grande échelle. Or, à ce jour, l’immunité collective est «vraisemblablement encore assez faible», assurent les deux spécialistes de l’USJ.

À cela s’ajoute l’absence de certitudes scientifiques quant à une possible rechute des personnes guéries. «D’après des recherches scientifiques, les anciens malades présentent de faibles concentrations d’anticorps autour de 30%. Ce qui suggère qu’ils risqueraient d’être à nouveau contaminés. Cependant, et c’est important de le noter, cela reste une hypothèse : à ce jour, aucun cas de personnes réinfectées n’a encore été identifié. Sur cet aspect particulier, les preuves manquent, seuls le temps et la recherche apporteront des réponses», souligne l’épidémiologiste Fatima al-Sayah, directrice de recherche au sein de l’École de santé publique de l’Université d’Alberta, au Canada.

Pour éviter de prolonger un confinement strict, lourdement préjudiciable à l’économie, la majorité des pays ont basé leur stratégie sur trois éléments : campagne massive de tests, isolement des personnes infectées et suivi de leurs contacts.

Dépistage massif

La mise en œuvre d’une campagne généralisée de tests permet en effet d’identifier les personnes contaminées, qui devront rester en confinement. C’est d’autant plus important que 80% des malades présentent des symptômes légers, voire asymptomatiques, c’est-à-dire sans symptômes déclarés, alors qu’ils sont malades et contaminants.

Cette stratégie a été déployée notamment par la Corée du Sud qui fait figure des bons élèves dans la lutte contre l’épidémie. Séoul a réussi à contenir l’expansion du Covid-19 en multipliant les opérations de dépistage et en isolant à chaque fois les cas positifs.

Mais le Liban n’en est pas encore là. Fin avril, le pays avait procédé à un nombre limité de tests PCR. Faute d’un nombre suffisant de kits de dépistage, les autorités ont d’abord été obligées de restreindre leur accès aux seuls malades présentant des symptômes assez sévères de la maladie. Un peu plus de 32.400  tests ont ainsi été effectués, soit 4.754 tests par million d’habitants (sur une population estimée à 6 millions), selon les informations compilées par le site Worlddometers.com en date du 30 avril.

Si les autorités sanitaires multiplient depuis quelques semaines les opérations de dépistage au hasard, on reste loin de la Corée du Sud, qui a effectué 11.980 tests par million d’habitants. Aux Émirats arabes unis, quelque 790.000 tests ont été réalisés jusque-là, soit environ 103.365 par million d’habitants.