Incendie du port de Beyrouth : quels sont les risques pour la santé et comment se protéger

Pr Charbel Afif explique les risques pour la santé et comment se protéger suite à l'incendie du port de Beyrouth.
6 août 2020

Depuis que s'est déclaré, jeudi en tout début d'après-midi, un énorme incendie dans un entrepôt de pneus et de bidons d’huile dans la zone franche du port de Beyrouth, la capitale et ses environs baignent dans les émanations de la fumée noire qui s'est dégagée des heures durant. Cette fumée est chargée de composés toxiques, dangereux pour la santé. Comment se protéger ? Pr Charbel Afif, chef de département de chimie à la Faculté des sciences de l’USJ et expert en pollution atmosphérique, répond aux questions.

Quels sont les principaux composants de cette fumée noire ?

Elle contient principalement des dioxines et des furanes (deux familles de composés chimiquement très stables qui proviennent essentiellement de la combustion et qui présentent des effets cancérigènes certains, selon l’Organisation mondiale de la santé), des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP, constituants naturels du charbon et du pétrole, qui proviennent aussi de la combustion incomplète de matières organiques tels que les carburants, le bois et le tabac), des fines particules, des oxydes d’azote (Nox, comme le monoxyde d’azote, le dioxyde d’azote, etc.), du monoxyde de carbone (CO), ainsi que des métaux lourds.

Quels sont les effets sur la santé sur les court et long termes ?

Si cette fumée est inhalée pendant une longue période (entre 10 minutes et deux heures), elle va, dans l’immédiat, exacerber les maladies respiratoires, comme l’asthme. Elle a aussi un impact sur la santé des personnes souffrant de maladies cardio-vasculaires. Elle peut aussi irriter la gorge et causer des picotements dans les yeux. Sur le long terme, cette fumée va augmenter les risques de cancers, notamment du poumon. Les dioxines, les furanes et les HAP sont connus pour être des composés cancérigènes. En y ajoutant les métaux lourds, la combinaison devient encore plus dangereuse.

Le risque sanitaire se pose pour les régions qui se trouvent dans un rayon de 10 kilomètres à vol d’oiseau de la source de l’incendie, mais cela dépend aussi de la vitesse et de la direction du vent. Comme ces fumées sont chaudes, elles vont s’élever très haut dans l’air et traverser une plus longue distance. Des études ont montré que certains des composés qu’elles contiennent peuvent être retrouvés à 50 kilomètres de la source. Mais leur concentration devient alors plus faible.

La pluie n’a aucun effet sur ces composés, puisqu’elle ne peut pas les dissoudre. Par ailleurs, lorsque ceux-ci se déposent sur le sol, ils s’intègrent dans la chaîne alimentaire. Ainsi, ils s’accumulent pendant une certaine période dans l’organisme avant qu’ils ne soient évacués. Ce sont des composés très stables. Par conséquent, ils ne se dégradent pas facilement.

Comment se protéger ?

Il faut fermer les fenêtres et rester à l’intérieur des habitations. Même si on n’a pas de climatisation, il faut garder les fenêtres et les portes fermées. Il ne faut pas sortir, ni travailler à l’extérieur. Les volontaires et les ouvriers qui travaillent à Beyrouth doivent sortir de la rue et rester dans les maisons. Il faut attendre que l’incendie soit vraiment éteint et qu’aucune fumée, même faible, ne se dégage pour nettoyer. Pour ce faire, il faut se protéger le visage avec un masque, et les mains avec des gants, et laver les surfaces avec un torchon humide. Les surfaces extérieures, comme les balcons et les terrasses, doivent être lavées avec des jets d’eau. Dans la région sinistrée par la double explosion du 4 août, il est conseillé de jeter de l’eau sur les débris de verre et sur les routes pour que les particules et la poussière ne remontent pas dans l’air et qu’on ne les respire pas de nouveau.

 

Pr Charbel Afif (FS, 2002)

Chef de département de Chimie

Directeur de l’équipe EMMA

Faculté des sciences - USJ

Article paru dans le quotidien l’Orient-Le Jour, le 10 septembre 2020.