Rendre sa grandeur au patrimoine culturel de l'USJ touché par l’explosion du 4 août

Article publié dans La Digitale no. 13 | Numéro Spécial Explosion du 4 août 2020.
Août 2020

L’explosion survenue au port de Beyrouth le 4 août 2020, qui a fait des milliers de morts et de blessés parmi hommes, femmes et enfants, détruit des quartiers résidentiels entiers, ravagé écoles, hôpitaux et institutions, a provoqué aussi la destruction partielle de sites emblématiques, ancrés dans la mémoire nationale comme étant des hauts-lieux de culture, d’éducation et d’excellence.

L’onde de choc de ce crime qui n’ose pas dire son nom, n’a pas épargné la Bibliothèque Orientale (BO) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), les bibliothèques des campus des sciences humaines, sciences médicales et sciences sociales, et le Musée de Préhistoire libanaise.

Bibliothèque Orientale

Les scènes de dévastation à la Bibliothèque Orientale et la Bibliothèque des sciences sociales sont d’autant plus pénibles à voir, puisqu’ils donnent l’impression d’un sinistre déjà-vu, car ces deux espaces d’étude, de recherche et de culture, sont situés sur l’ancienne ligne de démarcation qui a divisé Beyrouth pendant la guerre libanaise. L’explosion a fait voler en éclats vitres, portes et fenêtres de la BO ; elle a aussi entrainé des fissures dans les murs, notamment au niveau de la salle des manuscrits et de la chambre froide de la photothèque. Sans oublier la perte d’un déshumidificateur.

Mais surtout l’explosion a mis en danger un fonds dédié au Moyen-Orient et aux études orientales riche de 200.000 titres de livres, parmi lesquels des éditions anciennes de chroniqueurs, voyageurs, poètes et penseurs arabes. S’y ajoutent 2000 titres de collections complètes et rares de revues arabes, ainsi qu'une collection de journaux et revues remontant aux débuts de la presse arabe à Beyrouth et au Caire dans la deuxième moitié du 19e siècle. Le danger guette aussi les 3500 manuscrits datant du 9e au 19e siècle, en langue arabe et dans d’autres langues orientales (syriaque, turc, persan, arménien…). Les équipes de la cartothèque de la BO, qui comprend 2000 cartes géographiques anciennes du Liban et de la région, et de la photothèque, qui est la plus riche du Moyen-Orient, avec ses 250.000 documents, auront de la peine à reprendre leur travail de classification, de préservation, et de consignation de la mémoire, sans une aide financière rapide et substantielle, car les dégâts sont estimés à 130 000 $ US.

Musée de Préhistoire libanaise

Niché entre la Bibliothèque Orientale et la Résidence des Pères Jésuites, le Musée de Préhistoire libanaise (MPL) n’a pas été épargné par l’impact de l’explosion. Né grâce aux collections des Père Jésuites, ce musée spécialisé en archéologie préhistorique accueille le public depuis vingt années et lui propose diverses activités telles que des visites commentées, des ateliers pédagogiques, des expositions, des conférences et des séminaires. En outre, il fête annuellement des évènements incontournables à savoir la Journée nationale du patrimoine, la Journée internationale des musées et la Nuit des musées. Aussi, le Musée de Préhistoire libanaise contribue à la connaissance de la préhistoire du Liban et de la région en développant des projets de valorisation du patrimoine, des projets de recherches et de publications scientifiques.

Le MPL a subi des dégâts, mais miraculeusement les vitrines et les collections sont intactes. Les portes de l’entrée ainsi que les portes internes, qui étaient toutes fermées à clé, ont été ouvertes par l’intensité de l’explosion, ce qui a provoqué évidemment des dommages. Un grand mur en maçonnerie a énormément souffert. Fissuré à plusieurs niveaux, il a bougé de quelques centimètres. Toutes les fenêtres et la verrière se sont fracassées laissant de gros amas de verres. Les meubles du bureau d’accueil ont été endommagés par le verre. Les faux plafonds se sont décollés, etc.

Une délégation composée des représentants de trois organisations internationales : M. Peter Keller, directeur général d’ICOM, M. Valéry Freland, directeur exécutif d’ALIPH (International Alliance for Protection of Heritage in Conflict Areas) et de Mme Marie-Laure Lavenir, directrice générale d’ICOMOS (International Council of Monuments and Sites), accompagnée de Mme Elsa Urtizverea, coordinatrice protection du patrimoine (ICOM) et de Mme Rozalie Gonzalez, chargée de projet (ALIPH), a été accueillie au Musée par le Pr Salim Daccache s.j., recteur de l’USJ, Mme Carla Eddé, vice-recteur aux relations internationales, Mme Suzy Hakimian, présidente de d’ICOM-Liban et Dr. Maya Haïdar-Boustani, directrice du musée. L’objectif de cette mission était évidemment de visualiser les dommages mais aussi et surtout de discuter de l’aide qu’ils pourront apporter. À cette date, la demande de subvention qui sera soumise à ALIPH est en cours de préparation. Espérons qu’elle sera acceptée pour que les travaux puissent commencer avant les premières pluies.

Les Bibliothèques des campus

La Bibliothèque du Campus des sciences humaines de la rue de Damas a été touchée en plein cœur suite à la catastrophe du 4 août. Comme pour beaucoup de Libanais, le concours de circonstances a joué en faveur des étudiants et des employés ce jour-là : la bibliothèque qui est habituellement ouverte jusqu’à 18h avait fermé ses portes exceptionnellement tôt et le personnel avait quitté les lieux.

Quelques minutes plus tard, c’est l’apocalypse. Les dommages matériels ont été très nombreux ; vitres, aluminium, portes, tables, ordinateurs, claviers, rideaux, système antivol. La bibliothèque a également perdu plusieurs ouvrages de sa collection. Au niveau de la restauration, le plus laborieux a été d’enlever et de dépoussiérer les débris de verre incrustés dans plus de 100.000 ouvrages, sur les 200.000 titres que comprend la bibliothèque. Elle se distingue notamment par la collection d’ouvrages en arabe sur la région, dont des références rares en islamologie héritées de la Compagnie de Jésus telle la version originale de la plus ancienne encyclopédie chiite du Proche-Orient. La bibliothèque accueille aussi le fonds de l’École des lettres (25.000 ouvrages), ainsi que plusieurs fonds privés. A ce jour, ce travail n’est toujours pas terminé et d’autres travaux sont aussi en cours.

Sauvons ce patrimoine inestimable où l’on rencontre, selon les mots de l’écrivain et professeur à l’USJ, Charif Majdalani, « une pensée humaniste formulée et définie par des sciences humaines. »

La Bibliothèque des sciences médicales du fameux Campus Al Toubiyé de la rue de Damas, a également subi de graves dommages, et les réparations sont estimées à 32.000$ US. Outre les portes et fenêtres, en bois ou aluminium, à réparer, et les vitres et stores à remplacer, ce sont les installations électriques qui doivent être refaites.  Cette bibliothèque, fondée en 1883, est riche notamment d’ouvrages de toutes les spécialités médicales et paramédicales, mais aussi d’études et de traités sur la médecine orientale et les débuts de la médecine moderne dans l’Orient arabe dans la 2e moitié du 19e siècle, qui ont valeur de ressources historiques. Elle compte une importante collection de ressources électroniques récentes, et 500 titres de revues reliées et archivées.

Située au Campus des sciences sociales, plus connu sous le nom du campus Huvelin, la Bibliothèque des sciences sociales a, quant à elle, subi d’importants dégâts matériels. Cette bibliothèque regroupe 120 000 ressources documentaires de sciences politiques, économiques et managériales, et surtout de droit et de jurisprudence arabe et française. Il s’agit du fonds juridique historique le plus complet de la région, qui documente l’État libanais depuis sa mise en place en 1920. La bibliothèque comprend également le fonds Michel Asmar, le fondateur du Cénacle libanais, qui a accompagné entre 1947 et 1976 la réflexion politique et intellectuelle du Liban au lendemain de son indépendance. S’y ajoute le fonds spécialisé Laure et Joseph Moughayzel : femmes, enfants et laïcité.

Lorsqu'une catastrophe de cette ampleur survient, des années d'accomplissement humain peuvent être balayées l’espace d’un instant. L’Université Saint-Joseph de Beyrouth est soucieuse de sauver ce patrimoine culturel dont la valeur n’est plus à prouver.

L’aide d’urgence, par le biais de donations, va aider à sécuriser, sauver et stabiliser ce patrimoine ; qui, sauvegardé, participera à la reconstruction de nos communautés et les rendre plus fortes et plus résilientes.  

Retour en images et vidéos au mardi 4 août 2020

Bibliothèque Orienttale (BO)
Vidéos : Entrée de la BO – Les vitrines de la photothèque –  Magasin de livres - Salle de lecture (partie droite) – Salle de lecture (partie gauche)

Musée de préhistoire Libanaise (MPL)
Album photos 

Bibliothèque du Campus des sciences sociales (BCSS)
Album photos

Bibliothèque du Campus des sciences humaines (BCSH)
Album photos