Anouilh, Chopin et vous.

Myriam HINDI
Vendredi 27 novembre 2020
Organisateurs


La scène, le spectacle, le théâtre… Par cette pandémie, un rêve bien lointain n’est-ce pas ?

Pour les adeptes de théâtre, il s’agit effectivement d’une séparation des plus douloureuses. Comment s’en consoler ?

Le moyen privilégié serait de se nourrir de lectures théâtrales, tout en imaginant une mise en scène. N’oublions pas que le théâtre n’est pas uniquement spectacle, et en attendant de retrouver les feux des projecteurs, contentons-nous de jouer le rôle prémonitoire et indispensable du metteur en scène : inscrire le texte dans une esthétique personnelle, le réinventer à sa façon.

Ces derniers temps, Le Voyageur Sans Bagages de Jean Anouilh voyage à travers les rues de Beyrouth. Gaston, le voyageur sans bagages, est atteint d’amnésie à son retour de la guerre.

Une fois chez lui, son frère et sa mère réveillent le fantôme de Jacques, un homme responsable de nombreuses atrocités. Gaston renie l’existence de Jacques qui lui fait peur : Il a fait trop de choses ce Jacques […], ce Jacques qui n’a même pas aimé, il me fait peur. » 

Qui est donc ce Jacques ? Ce n’est autre que la figure passée de Gaston. Tous les Libanais voyagent avec un bagage lourd, qui pèse sur la conscience. On dit qu’il ne faut pas oublier, en effet, nous ne pouvons oublier, mais n’aurions-nous pas envie d’être nous aussi atteints d’amnésie et de voyager sans bagages ?

De prendre des vacances, de voyager avec insouciance, libres de tous nos malheurs pesants ?

Et si nous jouions le rôle de Gaston, pour combler notre manque de spectacle ?

Il s’agit en effet d’un rôle bien difficile à incarner, mais je propose le Nocturne numéro 13 Opus 48 numéro 1 de Chopin pour accompagner notre mise en scène et nous faire voyager sans bagages l’espace d’environ six minutes.

Je ne saurais décrire le sentiment que me procure ce Nocturne mieux que Théophile Gautier : « Chopin signifie une élégance mélancolique, un charme rêveur, une sensibilité féminine, tout ce que l’âme possède de délicat, de sensible, d’éthéré. »

N’oublions pas aussi que Chopin a vécu notre condition de Libanais, il a vu le déchirement de sa Pologne lors de l’Insurrection polonaise par l’armée tsariste. En 1848, il écrit à Julian Fontana, qu’au bout de toutes ces atrocités : Il y aura une Pologne superbe, une Pologne grande, une Pologne en un mot. » Nous ne pouvons qu’espérer cet heureux sort à notre Liban.

Entre temps, n’oubliez pas de lire Le Voyageur Sans Bagages et d’écouter le Nocturne de Chopin !