Abdel Rahman El Bacha, une explosion d’émotion « chopinesque »

Le premier décembre 2020, Abdel Rahman El Bacha réunit un public libanais autour des quatre scherzos et ballades de Chopin, et nous emporte dans une transe concentrée en émotions l’espace de soixante-quinze minutes.
Myriam HINDI
Mardi 08 décembre 2020
Organisateurs


Récompensé du premier prix du jury et du public au Concours Reine Elisabeth  de Belgique en 1978 à tout juste 19 ans et titulaire du grand prix de l’Académie Charles Cros en 1983 pour ses enregistrements sur l’œuvre de Prokofiev, Abdel Rahman El Bacha reste fidèle  à  ses origines libanaises grâce à ses fréquentes visites  à son  pays natal. Issu d’une famille de musiciens, il entame ses études pianistiques en 1967 avec Zvart Sarkissian, et une fois installé à Paris, intègre le Conservatoire National Supérieur de Musique. Applaudi dans toute l’Europe, au Japon, au Moyen-Orient et aux Etats-Unis, il garde une grande humilité et pose un regard empli de sagesse sur la vie. Pour justifier ce propos, citons ce fragment tiré de ses écrits personnels : « La vie est une leçon d’humilité puisqu’elle s’achève par la mort. Nombreux hélas sont ceux qui n’apprennent pas cette leçon, source de paix, guide vers le vrai bonheur. Sa  musique  porte bien l’empreinte de son humble esprit, il affirme à maintes reprises que la musique doit rester reine, et qu’il veut l’interpréter avec une grande humilité.

C’est ainsi que le premier décembre 2020, Abdel Rahman El Bacha réunit un public libanais à  l'Église Saint-Joseph des pères jésuites de Beyrouth. C’est avec grande virtuosité, qui reste pourtant pleine de délicatesse et d’humilité, que le génie du piano  interprète les quatre scherzos et les quatre ballades de Chopin. Je passe ma plume à Alfred Cortot et à Liszt qui sauront qualifier mieux que moi l’épaisseur des émotions concentrées dans ces chefs-d’œuvre, paroxysmes de la composition pianistique. Alfred Cortot disait de ces scherzos : « Ce sont des jeux, cependant, mais terrifiants ; des danses, mais enfiévrées, hallucinantes ; elles semblent ne rythmer que l'âpre ronde des tourments humains. » Quant à Liszt, il qualifiait la première ballade en sol mineur d’« odyssée de l’âme de Chopin ». En pleine crise économique et sanitaire, cette explosion émotionnelle engendre la pérégrination mélancolique de notre mémoire, elle ravive dans nos esprits une nostalgie dont on a presque perdu le souvenir responsable  de son déclenchement.

Une résistance culturelle reste l’une des plus nécessaires et primordiales dans la crise que traverse notre pays, c’est à mon avis l’un des seuls moyens qui nous permet de continuer à lutter, parce que comme le souligne Albert Camus dans La Chute : « Dans certains cas, continuer, seulement continuer voilà ce qui est surhumain. »