« Savoir traduire ou interpréter au sens restreint du terme ne suffit plus! »

Novembre 2020

Dans cette rubrique, Re-source, consacrée aux Anciens de l’ETIB qui ont brillé dans leur carrière, nous nous penchons également sur des profils de grands traducteurs ou interprètes, amis de l’ETIB. C’est dans ce cadre que s’inscrit cette entrevue avec M. le Professeur Nicolas Frœliger, professeur des universités à l'Université Paris Diderot, co-responsable pédagogique du master ILTS (Industrie de la langue et traduction spécialisée),  membre du conseil du réseau EMT (master européen en traduction)
et codirecteur du Centre d'études de la traduction


 

Que retenez-vous de votre parcours universitaire ?

D’excellents souvenirs sur le plan humain et, avec le recul, la certitude que les formations aux métiers de la traduction sont beaucoup plus professionnalisantes aujourd’hui qu’hier. La formation que j’ai reçue était de qualité, mais concentrée sur le cœur du métier de traducteur, avec une approche très artisanale (que l’on qualifierait aujourd’hui de biotraduction). Depuis, sont venues s’y ajouter d’autres compétences, essentielles pour s’intégrer au marché : aspects interpersonnels, outils informatiques, prestation de service… De l’artisanat, nous sommes passés à l’industrie : les métiers évoluent, et les formations doivent évoluer avec, et même tenter de sentir les évolutions au moment où elles se dessinent. C’est une des fonctions de la recherche.

Comment qualifiez-vous votre relation avec l’ETIB ?

J’avais eu l’occasion de rencontrer – et d’apprécier – plusieurs collègues de l’ETIB avant ma première visite dans votre école, mais j’ai été très touché de l’accueil qui m’a été fait, de la disponibilité et de l’hospitalité des collègues. Cette relation m’a beaucoup apporté, sur le plan humain, mais aussi par les échanges que nous avons pu avoir sur la situation et l’évolution de la traduction, de son enseignement et de la recherche qui y est consacrée. Elle était professionnelle, elle est aussi devenue amicale – et, plus récemment, solidaire.

Que pensez-vous du cursus qu’offre l’ETIB à ses étudiants ?

Sans le connaître en détail, j’ai pu parler à de nombreuses occasions avec les étudiants rencontrés des éléments de ce cursus, et j’en retire l’impression d’une formation très complète et très bien organisée. Ce qu’a d’ailleurs confirmé l’obtention du label EMT (master européen en traduction), en 2019. Je suis également sensible au fait que l’ETIB cherche sans cesse à affiner les choses, notamment par des réflexions (dont certaines auxquelles j’ai pu participer) sur la professionnalisation, ou sur la terminologie de l’enseignement.

Que pensez-vous des étudiants ou des doctorants de l’ETIB ?

J’ai eu finalement beaucoup plus d’interactions avec les étudiants rencontrés en cours ou en séminaires qu’au moment des soutenance de thèse, où il s’agit avant tout de débattre sur un texte. Mais j’ai en tout cas très apprécié la fluidité des échanges avec les étudiants, et la diversité de ces derniers, y compris d’ailleurs dans leur parcours, puisque certains étaient des traducteurs et traductrices confirmés, qui revenaient parfaire leur formation. Ce sont des expériences enrichissantes – et j’espère que la réciproque est vraie.

Quelles compétences majeures jugez-vous indispensables à faire acquérir de nos jours à un traducteur/interprète ?

Il faut le redire, je suis persuadé que savoir traduire – ou interpréter – au sens restreint du terme ne suffit plus : il faut transmettre les moyens de s’imposer sur le marché du travail, que ce soit comme indépendant ou comme salarié. Cela passe par une bonne connaissance des outils contemporains, en particulier informatiques, mais aussi par un renouvellement des approches (la terminologie, notamment) et par l’importance de considérer la traduction comme une prestation de service, qui va de l’établissement du devis au règlement de la prestation par le client. Par le passé, ce sont des choses que l’on apprenait sur le tas (et parfois à ses dépens). Aujourd’hui, je pense qu’elles méritent d’être intégrées à la formation.

Quel est le conseil que vous donneriez aux jeunes traducteurs et interprètes qui intègrent bientôt le marché du travail ?

Ayez conscience des compétences que vous avez acquises, sachez les monnayer au meilleur prix, et montrez-vous solidaires !

Comment un traducteur/interprète doit-il s’adapter à l’ère de la Covid-19 ?

Pour les interprètes, même si ce n’est pas directement mon domaine, le confinement a clairement accéléré la transition vers l’interprétation à distance, qui suscitait encore il y a peu beaucoup de réticences. Chez les traducteurs, j’ai l’impression que les effets ont été très divers selon les statuts et les situations : certains, par exemple, ont eu beaucoup plus de travail, tandis que d’autres en avaient infiniment moins. Mais la conclusion d’ensemble que j’en tirerais est que, d’une part, traducteurs et interprètes doivent toujours savoir s’adapter aux circonstances et, d’autre part, qu’ils peuvent chercher à peser sur les évolutions du marché, et œuvrer à une plus grande reconnaissance. Ce qui devient possible dès lors que l’on parvient à coordonner les acteurs professionnels, les formations (via l’EMT, par exemple) et la recherche.

Dans ce monde en pleine globalisation virtuelle, quelle est la plus-value de la formation de traduction/interprétation ?

Une bonne formation en traduction et en interprétation – et je pense que l’ETIB en est une – doit à mon avis faire comprendre au monde extérieur que la traduction est bel et bien une profession, c'est-à-dire que tout le monde n’est pas capable de traduire avec une visée professionnelle. Ce qui suppose, j’y reviens, d’être formé à toute une variété de spécialités qui permettent de faire la différence avec les amateurs.

 

                                                     Elsa Yazbek Charabati

Chef du Département d’Interprétation

Rédactrice en chef de la « NdT »