Dans la série de lettres que je rédige à l’occasion du 150e anniversaire de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, il me tient à cœur d’adresser aujourd’hui une lettre à Aïda.
Aïda, je ne t’ai pas connue. Mon seul contact – indirect – avec toi reste ce livre hommage publié en 2011, dans lequel j’ai contribué à l’agencement des écrits et à l’articulation des transitions. Il portait ce titre évocateur : AÏDA, plus que 4 lettres… une lettre ouverte.
Aujourd’hui, je suis à la tête de l’Institut que tu as fondé.
Je t’ai croisée pour la première fois dans une photo, sobre, posée sur le mur du bureau. Puis on m’a parlé de toi – souvent avec émotion, parfois avec solennité – toujours avec respect.
Tu figures désormais sur le mur des pédagogues qui ont marqué l’histoire éducative. Mais au-delà des images figées, c’est dans les histoires transmises, les méthodes restées vivantes et les inspirations continues que tu es toujours là.
Je ne t’ai pas connue. Est-ce une faille ? Peut-être. Certains me l’ont reproché à voix haute, d’autres à voix basse.
Mais te connaître, est-ce nécessairement t’avoir croisée ? Ou est-ce plutôt reconnaître ton empreinte dans ce que nous construisons aujourd’hui – une pédagogie vivante, mouvante, exigeante, inspirée et toujours ancrée dans le réel ?
Et si un jour tu revenais à l’ILE…
Tu y reconnaîtrais sans doute des personnes, dans leurs ressemblances, ou dans leur évolution ? Tu verrais que tes cours ont changé de forme : ils sont traversés par des actualités et des questionnements. Mais leur cœur est resté le même : une pensée qui se vit, une parole qui agit, une exigence qui relie.
Tu retrouverais peut-être quelques chaises venues du local de Huvelin… et quelques idées aussi, restées fidèles à leur époque tout en se laissant traverser par celle d’aujourd’hui.
L’ILE et l’USJ ont souhaité te rendre hommage à l’occasion de ce 150e anniversaire. Ton portrait trône désormais à Sassine, veillant de haut sur les deux locaux : Huvelin et Sodeco.
Un regard posé sur nos murs, nos gestes, nos hésitations. Une présence discrète, mais fondatrice.
Une personne à l’écoute, qui apprenait de ses étudiants, qui croyait en une pédagogie personnalisée, en l’interaction de l’apprenant avec lui-même, avec les autres, avec son environnement.
Une éducatrice convaincue que penser et agir sont indissociables, et que l’école doit être un lieu d’intégration et non d’exclusion.
Et si tu faisais un pas de plus dans les couloirs de Beyrouth et de Tripoli…
Tu découvrirais une équipe engagée, en mouvement, qui participe pleinement à la vie de l’Institut. Tu verrais des personnes qui évoluent, qui proposent, qui prennent part aux décisions avec perspicacité et bienveillance.
Tu entendrais parler de nouveaux référentiels repensés ensemble, d’initiatives partagées, de recherches menées en lien étroit avec le terrain, de projets pilotes, de partenariats renouvelés, et même de centres régionaux qui s’implantent pour renforcer la présence de l’ILE au plus près des besoins du pays.
Tu sentirais une ouverture réelle, des espaces de réflexion qui ne cessent de s’élargir, une volonté de construire ensemble – et un soutien sincère à la Direction, même dans les moments de doute ou d’ajustement.
Et cela, je dois le dire avec reconnaissance, est sans doute ce qui permet à l’ILE aujourd’hui non seulement d’exister, mais de se transformer sans se trahir.
Et puis, Aïda… si je t’avais connue ?
Est-ce qu’on se serait entendus ? Sur quoi auraient porté nos accords et nos désaccords ? Peut-être sur des détails, peut-être aurions-nous croisé nos visions, confronté nos styles. Question sans réponse… ou peut-être pas.
Je me demande parfois comment tu aurais réagi, toi, à certaines paroles, à certaines idées et à certains silences.
Alors si tu devais nous adresser un mot, une consigne, un clin d'œil depuis ce lieu symbolique que tu occupes désormais… Peut-être nous dirais-tu doucement mais fermement :
« Continuez… mais ne devenez jamais des gestionnaires de routine. Restez des éveilleurs. »
Rock EL ACHY
Directeur de l'ILE