Colloque sur le rôle national de l'USJ : 150 ans après

Jeudi 20 novembre 2025


L’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) a célébré, le jeudi 20 novembre 2025, un jalon essentiel de son histoire avec le colloque intitulé « Le rôle national de l’USJ : 150 ans après » ; en présence, notamment, du Pr Salim Daccache s.j., Recteur de l’USJ, du Pr François Boëdec s.j., Recteur nommé, du Pr Salah Aboujaoudé s.j., Premier Vice-recteur, de S.E.M. Ghassan Salamé, ministre de la Culture, ainsi que des anciens ministres, Marwan Hamadé, Nassif Hitti et Ziad Baroud.

Autour d’eux se sont réunis vice-recteurs, doyens, directeurs, anciens, étudiants et amis de l’Université, à l’Amphithéâtre Gulbenkian du Campus François Debbané des sciences sociales, de la rue Huvelin, pour revisiter le rôle unique qu’a joué l’Université depuis sa fondation et interroger les formes de son engagement futur.

Dès l’ouverture du colloque, le Recteur a donné le ton en affirmant que cette rencontre ne visait pas à « célébrer un passé prestigieux », mais à « interroger un présent exigeant » pour « ouvrir un avenir possible ». Il a rappelé que l’USJ n’avait pas seulement diplômé des générations : elle a façonné des institutions, inspiré des comportements citoyens, consolidé une culture de la liberté académique et inscrit dans la conscience nationale une éthique de rigueur, d’honnêteté intellectuelle et de fidélité au Liban.

Revenant sur les trois grandes leçons léguées par l’histoire de l’Université, le Pr Daccache a souligné l’audace comme moteur de son développement, la responsabilité comme fondement du savoir et la résilience comme marque de son identité. En effet, pendant les guerres et les crises, l’USJ a continué à enseigner, à rassembler et à soigner, a-t-il rappelé. Face à un pays « saturé de discours et d’indignation éphémère », il a insisté sur la vocation de l’USJ à « restaurer la noblesse du débat » et redonner à la parole « sa vérité et sa force ». Pour lui, l’Université doit rester ce lieu de lumière où s’inventent les chemins d’une renaissance nationale, fondée sur la créativité, la responsabilité et un engagement citoyen renouvelé.

Le Pr Salah Aboujaoudé s.j. a prolongé cette réflexion en revenant sur la profondeur du thème du colloque. Derrière cette interrogation du rôle national de l’Université, a-t-il expliqué, se joue la compréhension même de ce qu’est une institution de savoir dans le tissu politique et social du pays : un espace où s’élabore la conscience collective, où se forme la pensée critique et où se construit le vivre-ensemble. Il a insisté sur la nécessité pour l’USJ de se repenser constamment, d’interroger sa propre évolution et d’évaluer la pertinence de son action dans une société en mutation.

Pour illustrer cette vocation civique, il a évoqué le moment fondateur de 1975, lorsque, en pleine guerre, l’USJ s’est réorganisée profondément pour devenir une université autonome, structurée et enracinée dans la réalité nationale. Il a décrit cette transformation comme « un choix audacieux », celui d’assumer pleinement une mission tournée vers le pays et non vers la simple reproduction académique. Le Vice-recteur a également rappelé que cette dynamique se poursuit aujourd’hui à travers une gouvernance démocratique, des structures représentatives et un engagement affirmé en faveur d’une formation citoyenne active, bâtissant ainsi un modèle universitaire inspirant pour le Liban.

La conférence inaugurale, prononcée par S.E.M. Ghassan Salamé, a apporté un éclairage historique puissant. En évoquant avec émotion l’amphithéâtre Gulbenkian où « a débuté » sa carrière, il a retracé les liens profonds — parfois « incestueux », selon son expression — qui ont uni la Faculté de droit de l’USJ à la formation de l’État libanais. Il a décrit cette Faculté comme « une pépinière » et « un lieu de naissance de l’élite politique et administrative du Liban », avant d’analyser les ruptures de 1969 et la transition vers une « élite combattante » à la faveur des bouleversements politiques de l’époque.

Évoquant son retour au Liban en 1978, Salamé a décrit la transformation radicale des esprits, la montée des tensions identitaires, la compétition entre les centres de savoir et le recul de la langue française. S’appuyant sur Gramsci, il a affirmé que l’époque de « l’hégémonie culturelle » de l’USJ était alors révolue, ouvrant la voie à un long cycle d’adaptation dans un contexte politique, démographique et linguistique devenu défavorable. Il a rendu hommage à l’« ère de transition Ducruet », marquée selon lui par un effort colossal pour adapter l’Université à un nouveau rapport de force, un effort « sans lequel l’USJ aurait disparu ».

Abordant les défis contemporains, le Ministre a évoqué les pressions propres à une université professionnalisante, l’impératif de renforcer la recherche, la nécessité d’ajuster l’offre pédagogique à une demande sociale en évolution ainsi que le défi linguistique face à la montée de l’anglais et à la tension entre service national et expansion régionale. « Il est facile d’exporter un label, mais il est difficile d’exporter le même niveau d’enseignement », a-t-il averti, mettant en garde contre les illusions de la délocalisation académique sans vivier pédagogique suffisant.

Il a également insisté sur l’une des conditions majeures pour que l’USJ remplisse pleinement son rôle : la stabilisation du Liban. « L’un des plus grands défis est de faire du pays une base sûre, capable d’accueillir les étudiants de la région », a-t-il déclaré, rappelant que cette responsabilité ne relève pas des universités mais de l’État.

Dans un regard plus global, il a mis en lumière les bouleversements qui affectent toutes les universités du monde, qu’il s’agisse des nouveaux modes de transmission du savoir, de l’impact de l’intelligence artificielle sur l’intégrité académique, de la prolifération des sources de désinformation ou encore de la fracture grandissante entre diplôme et réussite sociale.

Le Ministre a finalement posé une question cruciale : celle du choix entre « le repli narcissique » et « l’engagement résolu dans les turbulences du pays ». Pour lui, l’héritage de 150 ans de l’USJ impose clairement la seconde voie. Il a invité l’Université à renouveler sa vocation d’aide à l’État en contribuant à imaginer un nouveau modèle économique, à combler le retard technologique, à proposer une alternative politique au système actuel et à redéfinir la place souveraine du pays « dans le repositionnement régional majeur qui se produit ».

Ces interventions ont nourri les deux panels animés par des membres de la communauté académique, et consacrés au bilan pédagogique, intellectuel et politique de l’USJ et aux perspectives pour l’avenir. La séance de clôture, assurée par le Pr Salah Aboujaoudé s.j. et Mme Lina Iskandar Hawat, maître de conférences à la Faculté des sciences religieuses, a rassemblé les fils conducteurs de cette journée dense et féconde, pour présenter la synthèse et les conclusions du colloque.

Consultez l'album photos



PARTAGER :