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B-18 - COMMENT INTÉGRER LES JEUX SÉRIEUX (SERIOUS GAMES) DANS SON ENSEIGNEMENT

1- Qu’est-ce que les jeux sérieux (serious games) ?

Intégrer le jeu dans son enseignement, c’est effacer l’antagonisme entre jeu et éducation et emprunter l’approche des philosophes grecs, de Rabelais et de Rousseau entre autres, pour lesquels le jeu est à la base de l’apprentissage. C’est aussi poser, à l’instar de Huizinga (1938, 1988), que Homo Ludens est indissociable d’Homo Sapiens comme deux facettes nécessaires et complémentaires du développement de la culture.

Le jeu sérieux fait partie des simulations que Dubey (2001) définit comme étant toutes les activités dites « comme si ». Ces activités consistent à se déporter imaginairement(au besoin à l’aide d’artifices techniques) hors du réel (comme l’ensemble des activités ludiques, le jeu des enfants lorsqu’ils font comme s’ils étaient quelqu’un d’autre, ou du comédien qui se met littéralement dans la peau d’un personnage).

Le jeu sérieux est basé sur les outils numériques. Il est caractérisé par deux points principaux : En premier, il combine jeu vidéo et une ou plusieurs fonctions utilitaires telles que diffuser un message, dispenser un entraînement, favoriser l’échange de données, et en second lieu, il vise un marché autre que celui du seul divertissement : la défense, la formation, l’éducation, la santé, le commerce, la communication (Alvarez 2002).

Les jeux sérieux à fonction pédagogique connaissent actuellement un engouement qui se manifeste, d’une part, par un boom dans le développement d’applications dans divers domaines tels que l’apprentissage de l’orthographe (Mon coach Bescherelle), la kinésithérapie (Kinect de Ubique) ou le développement informatique (CodinGame) … et, d’autre part, par la création et l’essor d’un nouveau champ de recherche, celui des video games studies caractérisé par la pluridisciplinarité auquel des chercheurs se consacrent.

Les simulations placent les apprenants dans des situations proches de la réalité, situations dans lesquelles ils peuvent s’exercer à appliquer des concepts et/ou en découvrir de nouveaux pour atteindre des résultats probants. Les jeux sérieux fournissent aux étudiants des environnements d’apprentissage synthétiques basés sur Internet. Les décisions y sont prises dans un cadre complexe et dynamique, où les étudiants bénéficient d’informations et de commentaires en temps réel. Pour tirer plein bénéfice de cet apprentissage, il faut préalablement évaluer quand utiliser un jeu sérieux et lequel choisir.

2- Quand et pourquoi utiliser un jeu sérieux ?

La première étape avant même de décider l’intégration d’une simulation dans un programme de classe ou de cours, consiste à déterminer si un jeu sérieux est susceptible d’ajouter de la valeur au cours (Rogmans 2019). La simulation devrait illustrer des concepts qui sont au coeur du cours plutôt que servir d’élément séparé ou supplémentaire au programme. Les résultats attendus de la simulation devraient répondre et renforcer les objectifs d’apprentissage du cours en question.

Les simulations, en particulier les jeux sérieux visent à renforcer l’engagement des étudiants ainsi que leur motivation à apprendre, à approfondir leur compréhension des objectifs d’apprentissage et à développer la confiance dans leurs capacités de prise de décision et de pensée critique.

3- Comment choisir un jeu adéquat ?

Une fois convaincu que le cours pourrait bénéficier de l’utilisation d’une simulation, il faut s’assurer que les simulations potentiellement appropriées sont disponibles. Cette étape peut être itérative avec la précédente, car la disponibilité d’une simulation peut aider à redéfinir les objectifs d’apprentissage du cours.

Une simple recherche sur Internet, avec des termes de recherche appropriés, permet d’identifier les simulations les plus couramment utilisées dans une discipline particulière. Parmi les autres sources, on retrouve les éditeurs de manuels universitaires, les entreprises spécialisées dans le développement des jeux sérieux, les centres de recherche universitaires et certainement des collègues ayant de l’expérience dans le domaine.

Rogmans (2019) catégorise les simulations en fonction de quatre paramètres détaillés ci-dessous : leur niveau de personnalisation, leur configuration du jeu, la durée de la simulation et sa complexité. Suite aux expériences acquises par l’utilisation de jeux sérieux dans les classes virtuelles durant la période de confinement de la pandémie COVID19, Rogmans (2020) ajoute un cinquième critère de sélection : la disponibilité d’un moyen de communication.

1. La personnalisation :

Les simulations peuvent certes être créées à des fins spécifiques. Cependant, ce n’est généralement pas rentable en termes d’économie et de temps, car le développement et la mise à jour d’un jeu sérieux demande les efforts joints de spécialistes de domaines divers dont ceux de la discipline enseignée, du développement de jeux vidéo et de l’informatique. Fort heureusement, il existe de nombreuses simulations standard sur le marché pour une variété de disciplines et dont certaines parties peuvent être personnalisées sans que l’éditeur ait à intervenir. Pour le moins, les enseignants peuvent décider de la durée et de la complexité de la simulation afin de répondre aux besoins spécifiques de leurs étudiants.

2. La configuration du jeu :

L’enseignant peut choisir de faire jouer les étudiants individuellement ou en équipe, selon les spécificités du cours. Cependant, le jeu individuel est préférable lorsqu’il est utilisé pour évaluer les compétences individuelles telles que les connaissances, la créativité, et l’adaptabilité. Par contre, lorsque l’objectif est de développer des compétences comportementales comme la collaboration ou les capacités de communication, l’option du travail en équipe est préférable.

3. La durée de la simulation :

Les simulations dont l’exécution est de courte durée, de 30 à 90 minutes, peuvent être réalisées en une séance de cours. De telles simulations portent en général sur un seul des objectifs d’apprentissage, comme stimuler la créativité, découvrir un nouveau concept par un raisonnement inductif, améliorer l’adaptabilité au changement.

Les simulations plus longues, de quatre heures et plus, nécessitent plusieurs séances. Elles visent une synthèse des connaissances acquises (capstone) lors d’un cours ou d’un cursus complet. Ces simulations sont également plus complexes et nécessitent plus de préparation de la part de l’enseignant.

4. La complexité de la simulation :

La complexité d’une simulation est mesurée en fonction du nombre de décisions et de variables dans le modèle. Des simulations complexes peuvent souvent sembler plus réalistes mais ne sont pas nécessairement plus utiles. La complexité peut être rébarbative pour les étudiants qui ne retrouvent plus l’aspect ludique du jeu (Lavigne 2013). Il est donc important de déterminer le bon niveau de complexité pour atteindre les objectifs d’apprentissage. Il est d’ailleurs conseillé de tester la simulation sur un petit groupe d’étudiants pour obtenir des commentaires sur l’opportunité et la manière de l’utiliser en classe.

5. La disponibilité d’un moyen de communication :

Afin de faciliter la communication entre les participants dans une classe virtuelle, la simulation doit nécessairement avoir un mécanisme de communication intégré à la plateforme de simulation, en particulier pour les simulations en équipe. Il est bon aussi de s’assurer que la simulation offre des supports d’information en ligne. Plusieurs éditeurs de jeux ont, dès le début de la crise du Covid19, trouvé des solutions pour les adapter à une classe virtuelle et ce, par le biais de courriels, de webinars et de la mise à disposition de plateformes de consultation.

Bien que ces différents paramètres soient importants à prendre en compte lors de la sélection d’une simulation, ils ne doivent pas empêcher leur utilisation. Les enseignants peuvent avoir un impact considérable dans la configuration du processus d’apprentissage en mettant en relief des facteurs spécifiques tels que le travail d’équipe, la compétition ou la maîtrise individuelle.

4- Quelles sont les pistes pour dépasser l’appréhension à intégrer un jeu sérieux dans un enseignement ?

La littérature a identifié une multitude de raisons pour expliquer la réticence des enseignants à utiliser des simulations : obstacles financiers et administratifs, temps de travail de préparation supplémentaire, crainte de ne pas être en mesure d’expliquer la simulation aux étudiants, manque de temps dans les cours.

Ces raisons ne devraient cependant pas décourager l’intégration d’une simulation dans un cours, car des éditeurs reconnus offrent actuellement des simulations de qualité avec les supports requis pour faciliter la tâche de l’enseignant tels que : démo en ligne gratuite, manuel de l’instructeur, manuel de l’étudiant, présentations en Power Point ou en vidéos, webinars de formation et quiz pour l’évaluation des étudiants.

Depuis son introduction dans l’enseignement, dans les années 70, le jeu sérieux a suivi le développement des technologies de l’information et de la communication, allant de la disquette (floppy disk) comme support d’information et de traitement des résultats à une relation en temps réel avec le système de jeu via un ordinateur ou un téléphone mobile. C’est ainsi que, dans la sale de classe, qu’elle soit virtuelle ou en présentiel, l’apprenant interagit avec le jeu sérieux qui sollicite ses connaissances, éveille sa curiosité, répond à ses questions et évalue ses réponses. Dans un tel contexte, le rôle de l’enseignant s’est élargi : l’enseignant est aussi un facilitateur qui aide l’apprenant à surmonter les difficultés techniques du jeu (elles peuvent être de taille même pour la génération Z) ainsi qu’un mentor qui oriente le raisonnement de l’apprenant par des questionnements.

Intégrer un jeu sérieux dans son enseignement demande d’adopter une attitude ludique à l’instar de Jacques Henriot :

L’attitude que j’adopte participe, je l’avoue, de ce qu’on nomme couramment le jeu. Comment parler de jeu sans jouer ? Peut-on rester grave et compassé devant un sujet dont le moins qu’on puisse dire est qu’il prête à jouer, non seulement avec les mots que l’on emploie mais aussi et plus profondément avec le sens même d’une réalité fuyante, rebelle, ne se dévoilant et ne se laissant entrevoir que pour se dérober aussitôt ? Qui parlerait de jeu sans jouer plus ou moins ne jouerait pas le jeu (Henriot, 1989a, p. 10 cité par Perron 2013).

5- Pour en savoir plus

Daisy BADDOURA
2020