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C-5 - ACCOMPAGNER LES ENSEIGNANTS SUITE À L’ÉVALUATION DES ENSEIGNEMENTS

1- Qu’est-ce que l’accompagnement des enseignants suite à l’EEE ?

L’accompagnement de l’enseignant suite à l’évaluation de son enseignement par les étudiants (EEE) consiste à cheminer à ses côtés, dans une logique d’aide s’opposant à toute tentative de contrôle (Jorro, De Ketele & Merhan, 2017). L’accompagnateur l’incite à questionner son savoir-agir qui le rend « compétent » et « capable de gérer des situations complexes et instables » (Le Boterf, 2010, p.53), au niveau des trois dimensions suivantes :

  • Pertinence du contenu et atteinte des résultats attendus (savoir)
  • Adéquation de l’approche et des méthodes d’enseignement (savoir-faire)
  • Posture de l’enseignant et impact sur le groupe-classe (savoir-être).

L’accompagnement assuré à l’enseignant est non linéaire puisqu’il se construit au fur et à mesure d’un cheminement authentique, avec ses aléas et ses incertitudes. Il s’agit d’une relation de confiance entre deux « libertés » qui cheminent de plein gré vers la réalisation du projet de l’enseignant accompagné, suite à l’EEE.

L’EEE est un processus exigé dans toute démarche qualité afin d’améliorer le rendement pédagogique et organisationnel des enseignements. Grâce au feedback des étudiants sur chaque unité d’enseignement, l’équipe éducative réfléchit sur les difficultés soulevées et prévoit des actions de remédiation, concrètes et contextualisées.

2- Pourquoi l’accompagnement des enseignants suite à l’EEE ?

L’intérêt de l’accompagnement assuré aux enseignants suite à l’EEE est de favoriser les conditions nécessaires pour un cheminement professionnel performant. Convaincu que tout enseignant est capable d’évoluer vers un meilleur devenir, principe soutenu scientifiquement par la plasticité cérébrale (Dehaene, 2018), l’accompagnateur se base sur l’apriori positif et porte un regard inconditionnellement constructif sur chaque enseignant accompagné. Il lui donne le temps ainsi que les moyens nécessaires pour l’aider à optimiser son enseignement, d’une manière réflexive et rationnelle, dans des conditions affectives favorables.

3- Quelle approche d’accompagnement privilégier ?

L’accompagnateur adopte une approche intégrative qui s’intéresse à l’état émotionnel de l’enseignant, puisque les émotions guident le comportement et la prise de décision (Damasio, 1995). Face aux résultats de l’EEE, l’enseignant pourrait ressentir une contradiction entre ce qu’il sait déjà (préjugés installés) et ce qu’il reçoit comme nouvelle information (feedback des étudiants). Il se sent déstabilisé et vit un conflit cognitif (Houdé, 2016) qui le perturbe au niveau émotionnel, provoquant des ressentis négatifs.

Comme ces ressentis émotionnels à valence négative le désengagent de son travail (Barras, 2017), l’enseignant pourrait refuser la remise en question et manifester une résistance au changement. Par son approche bienveillante, l’accompagnateur veille ainsi à assurer à l’enseignant accompagné une sécurité affective qui va activer ses émotions positives (Scherer, 2001) et le mettre en confiance. Il l’encourage à adhérer, de plein gré, au Processus de Régulation des Enseignements (PRE), acceptant de questionner ses pratiques et « d’inhiber » (freiner) ses préjugés (Houdé, 2016) pour acquérir de nouvelles manières de penser et d’agir.

4- Quelles étapes suivre ?

L’accompagnateur s’aligne sur les dimensions de l’évaluation cognitive adoptée par toute personne face à une situation professionnelle (Scherer, 2001). Ces dimensions, explicitées ci-dessous, permettent d’expliquer la différence des états émotionnels des enseignants lors du Processus de Régulation des Enseignements (PRE) :

  • Pertinence : bien-fondé et sens accordé au PRE.
  • Implication : adhésion de plein gré au PRE.
  • Potentiel de maîtrise : sentiment de compétence éprouvé vis-à-vis du PRE.
  • Signifiance normative : cohérence entre normes institutionnelles et valeurs professionnelles de l’enseignant lors du PRE.

Inspirées de ces dimensions, des étapes d’accompagnement sont opérationnalisées dans le tableau suivant.

ACCOMPAGNEMENT PROPOSÉ
Moment Étapes Objectifs Activités Outils
Début du
cheminement
Sensibilisation au PRE Donner du sens au processus Analyse des besoins

Entretiens individuels et instauration de la relation de confiance
Fiches d’identification des besoins

Grille d’entretien à titre indicatif
Suivi et cheminement
Engagement dans le PRE Motiver les enseignants à se lancer de plein gré dans le processus Analyse de pratiques

Entretiens individuels et engagement réciproque
Lancement du Portfolio

Boîte à outils et documentation(articles scientifiques, vidéothèque…)

Plan d’amélioration

Grille d’entretien à titre indicatif
Contrôle du PRE" Doter les enseignants de moyens pour les rendre capables de s’approprier et de gérer le processus Carrefours d’échange et mutualisation des pratiques

Entretiens individuels et feedbacks constructifs
Fin du cheminement
Valorisation du PRE Promouvoir l’adéquation entre l’intérêt personnel de l’enseignant et l’intérêt institutionnel collectif du processus Carrefours d’échange et mutualisation des pratiques

Entretiens individuels et mise au point sous forme d’évaluation formatrice
Fiches d’autoévaluation

Finalisation du portfolio

Grille d’entretien à titre indicatif

L’accompagnement se fait dans la durée. Il est principalement réactif puisqu’il se fait à la demande de l’enseignant mais il peut être proactif, sur initiative de l’accompagnateur, dans de rares cas, une fois la confiance installée.

5- Quelle posture pour l’accompagnateur ?

L’accompagnateur est un collègue/pair ayant fait ses preuves en matière d’enseignement universitaire. Il est nommé en début d’année académique et se rend disponible pour accompagner les enseignants qui le désirent. Sa posture est incontournable dans la démarche d’accompagnement suite aux influences «émotionnelles» et «rationnelles» (Damasio, 1995) qu’elle peut exercer sur l’enseignant accompagné, sous-tendant le processus de communication. Elle se concrétise par des signes verbaux comme la chaleur de la voix, le contenu et la connotation des mots (dimension explicite du message) ainsi que par des signes non verbaux comme les mimiques, le regard et les gestes (dimension implicite et affective du message). Lors d’une confusion entre le message verbal et non verbal, la posture peut induire en erreur et devenir source de conflit. L’accompagnateur devrait ainsi la gérer en étant vigilant quant aux points suivants :

  • Faire preuve d’écoute empathique, empreinte de bienveillance et d’authenticité.
  • Recourir constamment au feedback pour s’assurer de la perception correcte du message.
  • Gérer la communication non verbale qui est riche de significations et d’émotions.
  • Témoigner d’une attitude flexible pour s’adapter à la singularité de l’enseignant accompagné.
  • Tenir compte du contexte (moment, lieu et cadre) dans lequel s’effectue la communication.

Par ailleurs, dans le contexte précis de l’accompagnement des enseignants suite à l’EEE, quatre principes s’imposent à la posture éthique de l’accompagnateur (Berthiaume, Lanarès, Jacqmot, Winer & Rochat, 2012) :

  • La confidentialité : l’enseignant décide s’il souhaite ou non partager les résultats de l’EEE.
  • La responsabilité : il est le seul acteur de son développement, mettant à profit les résultats de l’EEE.
  • L’adaptabilité : il lui revient de s’approprier et de contextualiser les résultats de l’EEE.
  • La réflexivité : il questionne ses pratiques en lien avec ses aspirations personnelles et professionnelles.

Finalement, l’accompagnateur devrait se libérer de sa posture d’enseignant pour adopter celle d’un accompagnateur, évitant les « automatismes » de jugement et de décision. Il est ainsi appelé à cultiver ses valeurs professionnelles, dans une posture humaniste et éthique, au service de l’enseignant et de son devenir.

6- Quelles précautions prendre

  • Préserver la dimension formative de l’EEE, évitant le contrôle qui est inhérent au processus d’évaluation (Berthiaume et al, 2012).
  • Sensibiliser les étudiants à l’esprit critique et l’objectivité, afin que leur évaluation porte sur l’enseignement et non sur l’enseignant.
  • Aider les enseignants à percevoir positivement la démarche de l’évaluation et à y adhérer, sans se sentir visés dans leur personne.
  • Former les accompagnateurs au discernement pour distinguer les feedbacks objectifs des étudiants de ceux qui sont subjectifs.
  • Promouvoir une culture de l’accompagnement pour favoriser la réflexivité entre pairs, ce qui transformera l’institution en organisation apprenante, enrichie par le retour direct du terrain.

En conclusion, un accompagnement de qualité assuré aux enseignants suite à l’EEE dépend, à la fois, du choix de personnes empathiques et qualifiées pour accomplir la mission d’accompagnateurs, du degré de réceptivité des enseignants accompagnés et des modalités d’accompagnement mises en oeuvre. Cette dynamique est optimisée au sein d’un environnement constructif et bienveillant, basé sur des attitudes positives et des dispositions affectives pour éviter de compromettre la relation entre l’administration, les enseignants et les étudiants par rapport à l’EEE. Dans ce sens, l’humilité intellectuelle et relationnelle de l’accompagnateur reste la condition sine qua non de la réussite du cheminement. Il devrait accepter, lui aussi, la remise en question et la régulation de sa mission, conscient qu’il apprend également de l’enseignant accompagné et qu’il ne se réalise pleinement, in fine, que « pour et avec l’autre » (Mayen, 2007).

7- Pour en savoir plus

  • Barras, H. (2017). Impact émotionnel de l’évaluation de l’enseignement par les étudiants (EEE) chez les enseignants d’une haute école en Suisse. Education & Formation, 307, 74.
  • Berthiaume, D., Lanarès, J., Jacqmot, C., Winer, L. & Rochat, J.-M. (2012).L’Évaluation des enseignements par les étudiants (EEE). Recherche et formation, 67, 53-72.
  • Damasio, A. (1995). L’Erreur de Descartes, la raison des émotions. Paris: Odile Jacob.
  • Dehaene, S. (2018). Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines. Paris : Odile Jacob.
  • Houdé, O. (2016). Apprendre à résister aux automatismes. Les Cahiers pédagogiques, 527, 20-21.
  • Jorro, A., De Ketele, J.-M. & Merhan, F. (2017). Les Apprentissages professionnels accompagnés. Bruxelles: De Boeck.
  • Le Boterf, G. (2010). Construire les compétences individuelles et collectives. Paris: Editions d’Organisation.
  • Mayen, P. (2007). Quelques repères pour analyser les situations dans lesquelles le travail consiste à agir pour et avec un autre. Recherches en éducation, 4.
  • Scherer, K.-R. (2001). Appraisal considered as a process of multi-level sequential checking. New York and Oxford: Oxford University Press.

Patricia RACHED
2020