
A-5 - Intégration des compétences du XXIᵉ siècle dans les programmes et les Unités d’enseignement
Pourquoi les compétences du XXIᵉ siècle ?
À l'aune du XXIe siècle, le monde a connu des transformations majeures sur les plans technologique, économique et sociétal. L'essor que connaît aujourd'hui l'intelligence artificielle en est un parfait exemple. Ces transformations ont bouleversé tous les repères et ont conduit à l'émergence des compétences jugées indispensables pour faire face à des environnements de plus en plus complexes et imprévisibles. Ces compétences, souvent regroupées sous le terme de « compétences du XXIe siècle », ont été mises en valeur dans des cadres internationaux tels que le Framework for 21st Century Learning (P21) et le Learning Compass 2030 de l’OCDE. Leur acquisition est aujourd’hui considérée comme déterminante pour améliorer les parcours, assurer les mobilités professionnelles et l’employabilité des individus, c’est-à-dire leur capacité à être en emploi (Projet RECTEC). Dès lors, il devient indispensable d'articuler les compétences du XXIe siècle aux référentiels des compétences pour assurer la cohérence des programmes (Binkley et al., 2012) et de les rendre plus aptes à répondre aux besoins du marché du travail et favoriser, par conséquent, l'employabilité des diplômés. Les référentiels des compétences gagnent alors en qualité et deviennent de véritables leviers contribuant à concrétiser les aspirations liées aux compétences du XXIe siècle.
Quelles sont les compétences clés du XXIe siècle ?
Les compétences du XXIe siècle recouvrent un ensemble de compétences regroupées en trois catégories : cognitives, interpersonnelles et intrapersonnelles. Parmi les plus citées :
- • Cognitives : pensée critique, résolution de problèmes complexes, créativité.
- • Interpersonnelles : collaboration, communication, compétences interculturelles.
- • Intrapersonnelles : autonomie, résilience, éthique de travail, apprentissage tout au long de la vie.
Comment intégrer ces compétences dans les programmes et les unités d’enseignement ?
Les contraintes liées aux programmes et la nécessité, tout à fait légitime, de la focalisation sur les compétences disciplinaires, rendent l’intégration des compétences du XXIe siècle difficile, voire problématique. Cependant, de nombreuses options d’intégration de ces compétences sont possibles moyennant des choix stratégiques en termes d’adaptation au contexte et de faisabilité (Voogt & Roblin, 2012).
Ces perspectives vont d’une intégration directe dans les référentiels des compétences et par la suite dans les Résultats d’Apprentissage niveau Programme (RAP) et les Résultats d’Apprentissage niveau Unité d’Enseignement (RAUE) déjà définis, à la création de parcours totalement indépendants. Elles incluent des approches allant de la fusion, où les compétences sont imbriquées dans les programmes existants, au croisement, où elles sont traitées comme des entités distinctes avec leurs propres RAP et RAUE.
L’option proposée ici pourrait être qualifiée de pragmatique et économique. Elle privilégie une intégration progressive et flexible des compétences du XXIe siècle sans remaniements structurels profonds des programmes mis en place.
1. Identification des compétences essentielles
Dans un premier temps, il est nécessaire d’identifier les compétences du XXIᵉ siècle jugées essentielles pour le programme de formation. Ces compétences doivent ensuite être déclinées en RAP et RAUE selon des critères rigoureux, comme ceux décrits dans ce manuel.
De nombreux référentiels offrent des exemples concrets de déclinaison. C’est le cas, entre autres, du Framework for 21st Century Skills (P21), qui propose des compétences détaillées sous forme d’indicateurs mesurables, facilitant ainsi leur intégration dans les curricula (Binkley et al., 2012 ; OECD, 2018).
2. Intégration aux trois niveaux des programmes
Pour garantir une intégration réussie, une déclinaison de ces compétences aux trois niveaux suivants devient nécessaire :
- • Référentiels des compétences
En raison des contraintes liées à la complexité et au nombre limité de compétences retenues dans un référentiel global (généralement entre 5 et 10, selon le MPU), il n’est pas nécessaire que toutes les compétences du XXIe siècle y figurent explicitement. Elles peuvent être intégrées ou fusionnées dans certaines compétences déjà définies, pour autant qu’elles soient pertinentes pour le programme concerné.
- • RAP (Résultats d’Apprentissage niveau Programme)
Les RAP doivent refléter directement les compétences du XXIe siècle. Ces résultats doivent être alignés sur les compétences globales définies dans le référentiel.
- • RAUE (Résultats d’Apprentissage par Unité d’Enseignement)
Le niveau d’explicitation est maximal à ce stade. Les RAUE liés à ces compétences doivent être définis de la manière la plus explicite possible. Cette explicitation rend possible la mise en place des activités pédagogiques et des méthodes d’évaluation adaptées à ces compétences.
3. Précautions à prendre :
- • Éviter la tendance à l’exhaustivité
Malgré l’importance des compétences du XXIe siècle, il n’est pas possible de les intégrer toutes dans les programmes. Ces compétences sont nombreuses et incluent, comme cela a déjà été évoqué, des dimensions cognitives, interpersonnelles et intrapersonnelles. C’est pourquoi leur intégration doit être guidée par un choix réfléchi (Trilling & Fadel, 2009). Ces compétences doivent être sélectionnées en fonction des spécificités de chaque programme et du profil attendu de l’étudiant à l’issue de sa formation. Les compétences du XXIe siècle sont importantes, mais celles liées à chaque cursus, autrement dit les compétences disciplinaires, le sont encore davantage. Il est donc nécessaire de prioriser les compétences qui répondent le mieux aux besoins du domaine, des étudiants et du contexte professionnel.
- • Adopter une approche flexible
Bien que la démarche soit qualifiée de « fusion », elle n’exclut pas la possibilité que les compétences du XXIe siècle deviennent des éléments centraux dans certains cursus, eu égard aux particularités de ces derniers. Dans cette perspective, les compétences figureraient explicitement dans les référentiels, avec leurs propres RAP et RAUE.
- • Alignement avec les stratégies d’enseignement et d’évaluation adoptées
Ce Manuel (MPU) consacre une partie, « D. Dispositifs d’évaluation des acquis », aux démarches d'évaluation adaptées au développement des compétences. Il s'agit, à titre d'exemple, du recours à des tâches complexes, au portfolio, classique ou numérique, ou encore aux grilles critériées. Toutes ces démarches s'appliquent avec plus d'importance dans le cas des compétences du XXIe siècle, car elles sont adaptées à la nature complexe de ces compétences. Dans le cas des compétences du XXIe siècle, une attention particulière devrait être accordée aux pratiques évaluatives nécessitant l'implication active de l'apprenant telles que l'évaluation formative et formatrice qui privilégient la coévaluation et l’autoévaluation.
Une attention particulière doit, par ailleurs, être accordée à l’alignement avec le processus d’évaluation des programmes déjà entamé.
Comment assurer l’alignement avec le processus d’évaluation des programmes ?
Dans le cadre de l'évaluation des programmes de formation, l'évaluation des compétences se trouve au cœur de ce processus, explicité dans le Guide d’évaluation des compétences et produit par la Mission de pédagogie universitaire. À titre de rappel, l'évaluation des compétences d’un programme porte sur l'évaluation des RAP et ne se limite pas à l'évaluation des RAUE. Dans cette perspective, il faut veiller à ce que les RAP des unités d’enseignement intégratrices (mémoire de stage, portfolio, projet, soutenance, etc.) incluent des RAP liés aux compétences du XXIe siècle, car ces unités sont souvent sélectionnées lors de l'évaluation des compétences, vu qu'elles permettent l’évaluation de plusieurs RAP en même temps (cf. le Guide susmentionné).
Cette approche intégratrice est particulièrement pertinente pour l’évaluation des compétences du XXIe siècle, car elle permet :
- D’inclure des points de vue diversifiés, grâce à l’implication de plusieurs enseignants dans le processus d’évaluation.
- D’offrir des opportunités d’évaluation authentiques, indispensables pour mesurer efficacement ces compétences transversales.
Ainsi, une démarche structurée et alignée au niveau des RAP garantit non seulement la cohérence du processus d’évaluation, mais également la pertinence des résultats obtenus, tant pour les compétences disciplinaires que pour les compétences du XXIe siècle.
L’exemple qui suit est proposé à titre purement illustratif. Il ne s’appuie pas sur un référentiel existant d’une institution particulière, mais repose sur une hypothèse de travail réaliste. On supposera ici que le référentiel de compétences d’un Master en didactique des disciplines intègre, parmi ses compétences clés, la suivante :
« Analyser des situations complexes d’enseignement-apprentissage en mobilisant des cadres théoriques pertinents et des données empiriques ».
Dans cet exemple, la compétence du XXIe siècle visée — la pensée critique — n’est pas mentionnée de manière explicite. Elle est cependant présente de façon implicite, intégrée dans la formulation même de la compétence.
Cette compétence est ensuite déclinée en quatre résultats d’apprentissage attendus au niveau du programme (RAP). Parmi ces RAP, certains mentionnent explicitement la pensée critique, tandis que d’autres l’évoquent de manière plus implicite. Ainsi, on retrouve :
- RAP 1 : Élaborer des séquences didactiques fondées sur les besoins des apprenants.
- RAP 2 : Poser un regard critique sur des dispositifs pédagogiques existants à partir de cadres théoriques.
- RAP 3 : Intégrer des outils numériques de manière critique et pertinente dans les pratiques d’enseignement.
- RAP 4 : Conduire une évaluation constructive et formative adaptée aux objectifs d’apprentissage.
Le RAP 2 constitue l’entrée la plus explicite de la pensée critique. Cette dernière y est non seulement activée, mais également considérée comme une exigence centrale. Le RAP 3, quant à lui, fait également appel à cette compétence, mais dans un contexte plus technique, tandis que les autres résultats ne font pas référence à la pensée critique.
Dans les RAUE, la pensée critique pourrait apparaître explicitement à ce niveau de granularité. L’exemple qui suit est extrait d’une unité d’enseignement qui pourrait être intitulée « Analyse des pratiques et ingénierie didactique ».
- RAUE 2.1 : Identifier les éléments clés d’un dispositif pédagogique existant (objectifs, activités, évaluation).
- RAUE 2.2 : Mobiliser un cadre théorique pour analyser les effets potentiels d’une séquence pédagogique.
- RAUE 2.3 : Réaliser une analyse critique d’un scénario pédagogique réel ou fictif en identifiant les présupposés, en évaluant les arguments, et en mobilisant des cadres théoriques.
- RAUE 2.4 : Proposer des pistes d’amélioration en justifiant les choix retenus
Dans cet exemple, le RAUE 2.3 convoque explicitement la pensée critique et constitue une déclinaison directe issue du Framework for 21st Century Learning (P21). Il reprend certains des éléments clés proposés par ce cadre, notamment l’analyse d’arguments, l’identification de présupposés et l’évaluation critique de situations pédagogiques.
Cet exemple montre bien comment les compétences du XXIe siècle pourraient être intégrées de façon progressive sans remaniements importants des programmes mis en place.
Références
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1. Ferrari, M., & De Ketele, J.-M. (2021). Reconnaître les compétences transversales en lien avec l’employabilité et les certifications – RECTEC+ (niveaux 5 à 8 du CEC). Projet Erasmus+, Université du Mans. Disponible sur : http://rectec.ac-versailles.fr
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2. Framework for 21st Century Learning (P21). (n.d.). Framework for 21st Century Skills. Partnership for 21st Century Learning. Retrieved from http://www.p21.org
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3. Griffin, P., McGaw, B., & Care, E. (Eds.). (2012). Assessment and Teaching of 21st Century Skills. Springer.
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4. OECD. (2018). The Future of Education and Skills: Education 2030. OECD Learning Compass 2030. Retrieved from https://www.oecd.org
-
5. Pellegrino, J. W., & Hilton, M. L. (Eds.). (2012). Education for Life and Work: Developing Transferable Knowledge and Skills in the 21st Century. National Academies Press.
-
6. Trilling, B., & Fadel, C. (2009). 21st Century Skills: Learning for Life in Our Times. Jossey-Bass.
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7. Voogt, J., & Roblin, N. P. (2012). 21st century skills: Discussing the framework. Journal of Curriculum Studies, 44(4), 399–423. https://doi.org/10.1080/00220272.2012.668938
- 8. Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ). (2023). Guide évaluation des compétences
Wassim El-Khatib
2025