
B-21 - LES COMMUNAUTÉS D’APPRENTISSAGE PROFESSIONNELLES DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
1. QU’EST-CE QUE LES COMMUNAUTÉS D’APPRENTISSAGE PROFESSIONNELLES ?
Les communautés d’apprentissage professionnelles (CAP), connues sous l’appellation Professional Learning Communities (PLC) dans la littérature anglo-saxonne, consistent en une démarche collective et collaborative qui mobilise de manière volontaire des professionnels de l’enseignement supérieur (enseignants, responsables académiques et personnel administratif). Ils mettent en œuvre une pratique réflexive et visent constamment à se perfectionner sur le plan professionnel (DuFour, 2004) dans une dynamique de co-construction de savoirs et de mutualisation des pratiques.
2. POURQUOI LES COMMUNAUTÉS D’APPRENTISSAGE PROFESSIONNELLES ?
Les CAP favorisent l’intelligence collective ainsi que la cohérence éducative, inscrivant le développement des professionnels de l’éducation dans une logique d’apprentissage tout au long de la vie. Des apports spécifiques sont réalisés au niveau de chaque entité.
- Apports pour les professionnels de l’éducation : développer une professionnalité émergente et non statique (Jorro, De Ketele & Merhan, 2017), soulignant le caractère évolutif de la professionnalité. Celle-ci se base sur la réflexivité (Altet, 2002 ; Schön, 1996) qui incite les participants à analyser leurs pratiques et leur posture dans un échange constructif entre pairs, pour adopter de nouvelles façons d’apprendre individuellement et collectivement.
- Apports pour l’institution : devenir une organisation apprenante (Senge, 2006 ; Bonami et al., 2010) qui « apprend de ses erreurs » et « optimise la contribution de son personnel » (Wilkinson et al., 2017, p. 3), dans une vision commune et des valeurs partagées. Des savoirs sont ainsi coconstruits, mettant en œuvre une « professionnalité collaborative » (Hargreaves & Fullan, 2020) au sein d’un climat agréable et propice au travail.
- Apports pour les étudiants : s’inscrire dans un développement continu, profitant d’une pédagogie innovante et d’une approche éducative bienveillante qui renforce l’interaction entre enseignants et étudiants. Un accompagnement personnalisé est exercé, tenant compte de la diversité des besoins des apprenants.
3. QUELLES SONT LES CONDITIONS POUR METTRE EN PLACE DES COMMUNAUTÉS D’APPRENTISSAGE PROFESSIONNELLES ?
L’instauration des CAP nécessite des conditions réunies au niveau personnel, collectif et institutionnel :
- Engagement volontaire des personnes dans une dynamique collaborative d’apprentissage continu.
- Confiance et respect de l’altérité entre pairs afin de s’exprimer librement sans peur du jugement, s’enrichissant de la différence des points de vue.
- Vision partagée pour une amélioration des pratiques professionnelles en visant l’innovation pédagogique.
- Soutien institutionnel afin de prévoir des espaces collaboratifs et un cadre temporel dédié à la démarche.
- Possibilité de prévoir une reconnaissance financière ou statutaire pour valoriser les expertises et encourager la participation.
4. COMMENT METTRE EN PLACE DES COMMUNAUTÉS D’APPRENTISSAGE PROFESSIONNELLES ?
Des étapes progressives contribuent à l’instauration des CAP :
- Lancer le processus et promouvoir l’engagement des professionnels de l’éducation dans les CAP : étape de diagnostic pour identifier les personnes et cerner les besoins ainsi que les attentes et les enjeux pédagogiques.
- Constituer les groupes en veillant à équilibrer les profils des personnes intéressées : disciplines, expérience, fonctions, etc.
- Proposer une feuille de route pour définir les modalités de fonctionnement du groupe : préciser la fréquence, le lieu, la présence d’un animateur de manière tournante ainsi que des thématiques qui émanent des préoccupations des professionnels, en lien avec les actualités éducatives.
- Former des personnes aux techniques d’animation des groupes et aux modalités d’analyse des pratiques.
- Prévoir des étapes d’évaluation et de régulation menées conjointement par les participants aux CAP et des référents pédagogiques : retour formatif sur les pratiques partagées, les savoirs co-élaborés et le climat de travail, s’appuyer sur des outils scientifiques tels que les questionnaires, le journal de bord, les focus groups, etc.
5. QUELLES SONT LES LIMITES DE LA MISE EN PLACE DES COMMUNAUTÉS D’APPRENTISSAGE PROFESSIONNELLES ?
L’instauration des CAP pourrait se heurter à des difficultés relatives au fonctionnement universitaire ou à la dimension relationnelle. Nous en citons quelques-unes ci-dessous :
- Culture universitaire : autonomie dans le fonctionnement des enseignants, davantage centrés sur la recherche.
- Surcharge des professionnels de l’éducation : cumul de plusieurs tâches, reléguant souvent la pédagogie au second plan.
- Résistances à la collaboration, notamment face à la diversité des statuts hiérarchiques : possibilité de freiner la parole et d’altérer la qualité des échanges.
- Absence de reconnaissance institutionnelle, voire une indifférence vis-à-vis du processus : risque de démotiver les participants et de freiner leur engagement.
CONCLUSION
Les bienfaits des communautés d’apprentissage professionnelles dans le contexte universitaire vont au-delà du savoir partagé et créent des dynamiques collaboratives instaurant un climat agréable au travail et incitant chaque personne à donner le meilleur d’elle-même. Les capacités distinctives (Dewey, 1966) sont ainsi valorisées au sein d’un collectif intelligent et solidaire. Toutefois, le talon d’Achille de ce processus reste la volonté institutionnelle et sa capacité à accorder une reconnaissance valorisante et à mettre en œuvre un accompagnement constructif.
BIBLIOGRAPHIE
- Altet, M. (2002). Une démarche de recherche sur la pratique enseignante : l'analyse plurielle. Revue française de pédagogie, 138, 85-93. https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2002_num_138_1_2866
- Bonami, M., Letor, C. & M. Garant. (2010). Vers une modélisation des processus d’apprentissage organisationnel à la lumière de trois situations scolaires hors normes. Dans L. Corriveau, C. Letor, D. Périsset Bagnoud & L. Savoie-Zajc (dir.), Travailler ensemble dans les établissements scolaires et de formation : processus, stratégies et paradoxes (pp. 34-48). De Boeck.
- Dewey, J. (1966). Democracy and Education. The Free Press.
- DuFour, R. (2004). What Is a “Professional Learning Community”? Educational Leadership, 61, 6-11. https://www.scirp.org/reference/referencespapers?referenceid=1818223
- Hargreaves, A., & Fullan, M. (2020). Professional capital after the pandemic: Revisiting and revising classic understandings of teachers' work. Journal of Professional Capital and Community, 5(3/4), 327–336. https://doi.org/10.1108/JPCC-06-2020-0039
- Jorro, A., De Ketele, J-M. & Merhan, F. (2017). Les apprentissages accompagnés. De Boeck.
- Schön, D. (dir.). 1996. Le tournant réflexif. Pratiques éducatives et études de cas. Éditions Logiques.
- Senge, P.-M. (2006). The Fifth Discipline: The Art and Practice of the Learning Organization. Doubleday.
- Wilkinson, H., Whittington, R., Perry, L. & Eames, C. (2017). Examiner la relation entre l'épuisement professionnel et l'empathie chez les professionnels de la santé : une revue systématique. Burnout research, 6, 18–29. https://doi.org/10.1016/j.burn.2017.06.003
Patricia Rached
2025