Nous avons le plaisir de vous annoncer que demain nous serons tués avec nos familles. Génocide rwandais, quand le voisin tue son voisin.

Ali Bdeir
Vendredi 2 Avril 2021
Organisateurs


Enclavé au cœur de l’Afrique dite des Grands Lacs, le Rwanda est un petit pays montagneux de 26 338 km2. Hutu, Tutsi et Twa participèrent à l’élaboration des institutions rwandaises. Il est crucial de rappeler que ces trois groupes ne sont pas des races, pas plus que des ethnies. Le concept « ethnie » renvoie systématiquement à une différenciation d’ordre linguistique et culturelle. Il n’existe qu’une ethnie au Rwanda : l’ethnie rwandaise, puisqu’il n’y a opposition ni de langue, ni de culture, ni de religion, ni de territoire. Attribué sur le papier à l’Allemagne en 1890, la Belgique prendra la relève à partir de 1919. Dès 1920, la transformation de l’État rwandais s’opère dans un but d’efficacité administrative. Toute une mythologie spéculative alimentée de fantasmes s’est greffée sur les origines du peuple rwandais jusqu’à en devenir un projet racial. Les auteurs allemands parlent de Herrenvolk (peuple de seigneurs) Tutsi et de Knechtschaft (servitude) Hutu, la configuration bipolaire prenait corps. On aura relevé la double équation récurrente : le conquérant Tutsi, et le statut de serf Hutu. Les Belges prendront le relais de manière durable de l’obsession de la raciologie. Les autorités coloniales envisagèrent pour la première fois l’obligation de porter un bracelet métallique d’identification ; projet qui sera très vite abandonné au profit d’un livret d’identité qui mentionne l’ethnie. Toutes les positions dominantes furent alors systématiquement réservées aux Tutsi au niveau de l’encadrement administratif et technique, comme à celui des activités économiques. Lors des premières consultations électorales, au cours des années 1950, les Hutu avaient la possibilité d’exprimer leur ressentiment vis-à-vis de l’élite dirigeante Tutsi. Les autorités coloniales renversèrent les alliances et désignèrent de nouveaux cadres administratifs (majoritairement Hutu) dans les communes. La politique de renversement des alliances affermit davantage la synthèse socio-raciale. Des pogroms conduisirent à l’exode dans les pays voisins de dizaines de milliers de Tutsi. Juvénal Habyarimana, Hutu, s’empara du pouvoir en 1973 par un coup d’Etat. Il maintint et renforça l’utilisation des cartes d’identité. Son pouvoir ne fut qu’un prolongement des assises coloniales. Le mercredi 6 avril 1994 à 20h25, l’avion qui transportait Juvénal Habyarimana et le président burundais Cyprien Ntaryamira fut abattu. Les deux chefs d’État, qui trouvèrent la mort dans cet attentat, revenaient de Dar-es-Salaam, où ils avaient participé à un sommet régional consacré au problème de la sécurité régionale. Dès la mort du président Habyarimana, dans la nuit du 6 au 7 avril, les événements comme les décisions des acteurs s’enchaînèrent à grande vitesse. En trois mois, du 7 avril au début juillet 1994, l’horreur s’est déployée dans le pays des mille collines. Au moins 800 000 êtres humains de tous âges et de tous sexes ont été massacrés. D’une part, les massacres visent les Tutsi individuellement à travers les barrages érigés partout dans le pays. D’autre part, lorsque débutent les tueries, de nombreuses personnes qui se sentirent menacées, des Tutsi surtout mais également certains Hutu modérés, cherchent refuge dans des hôpitaux, des écoles, des stades et d’autres endroits publics. Pris au piège, les lieux de refuge se transforment en lieux de massacres. Dans le cas des mariages interethniques, nombreux sont ceux qui sont obligés d’exterminer leur propre famille. Une estimation de près de 10 000 morts par jour en moyenne, près d’un million de morts en cent jours. Parents tuant leurs enfants, catholiques assassinant leurs coreligionnaires, paysans mettant à mort leurs voisins. Dans les studios des radios populaires, les Tutsis sont appelés « cafards », « rats ». Malgré le recours à un vocable métaphorique « cafards », ce sont tous les civils Tutsi qui sont visés. Les responsables estimèrent que les armes à feu coûtaient très cher pour être distribuées. Ils préconisèrent d’armer la plupart des jeunes gens avec des machettes. Deux semaines après le génocide, la communauté internationale se dégorge bon gré mal gré de son essence hypothétique. Cependant, pas une once d’action. Malgré la présence des médias, il a fallu attendre l’achèvement du génocide pour que les médias et l’opinion internationale se rendent à l’évidence. Mi-mai 1994, le verdict tombe. Comme un procureur dans un prétoire, le mot « génocide » est prononcé pour la première fois par la communauté internationale ; il a fallu attendre l’injonction de la communauté internationale. Très vite, en fait, les massacres de Tutsi ont été présentés comme un des éléments d’une guerre civile, d’une barbarie sacramentelle ; propension révélatrice des conceptions stéréotypées sur ce continent.