Ne perdez jamais l’espoir de faire quelque chose pour votre pays...

Salim Eddé
Novembre 2022
Organisateurs


Salim Eddé, Cofondateur de la société informatique Murex et fondateur du musée MIM à Beyrouth

Un évènement marquant dans ma jeunesse m’a fait comprendre l’aspect fondamental de l’éducation dans la vie. J’étais en classe de 1ère, quand, peu avant Noël en 1974, mon père nous a emmenés à Bchemoun, au-dessus de la banlieue sud de Beyrouth : il venait d’y acheter un terrain et voulait nous le montrer. Le soleil commençait à se coucher et on apercevait au loin les lumières de Beyrouth qui s’allumaient. Mon père fait alors un grand geste avec sa main et nous dit en regardant Beyrouth : « Regardez bien : dans un an, dans deux ans il ne restera rien : la région est sur un volcan. Aucun bien matériel ne dure dans cette vie. La seule chose qui durera, et que personne ne pourra vous enlever, ce sont les études que vous ferez. Poussez-les à fond ». Et c’est hélas ce qui s’est passé. Il avait vu avant tout le monde les catastrophes qui allaient s’abattre sur la région.

Lorsque mon père nous a quittés en 2019, il n’a rien légué d’autres à ses enfants que l’éducation que lui et ma mère leur ont inculquée, grâce au système éducatif libanais (et jésuite en particulier). C’est ce bien crucial qui nous a permis de traverser toute la tourmente, de réussir professionnellement là où nous nous sommes retrouvés au gré des aléas de la vie, surtout dans la fondation et le développement de la société Murex qui emploie actuellement 2.500 personnes dans le monde dont plus de 1.100 libanais, tous issus du système éducatif local à Beyrouth, où le bureau de Murex emploie 750 ingénieurs.

Le Liban s’est toujours distingué dans son environnement par la qualité de son éducation : celle-ci est l’atout principal d’un pays pauvre en ressources naturelles et empêtré dans une des régions les plus instables de la planète. L’effondrement du système bancaire depuis 2019 a porté un coup très rude à tout le système éducatif, et je pense qu’il s’agit du risque le plus important qui menace le pays depuis 2019. Il est donc normal que la société Murex, qui a largement profité de la qualité de cette éducation depuis qu’elle existe, se mobilise pour contribuer au redressement de cette éducation. L’ampleur de la tâche et son importance pour le pays sont telles, qu’il est essentiel que d’autres sociétés et donateurs conjuguent leurs efforts pour pallier l’absence pratiquement totale de l’État (ou d’aides externes) dans ce domaine. L’USJ dont le rôle a été fondamental dans le système éducatif du pays depuis la fin du XIXe siècle, et qui ne bénéficie pas des mêmes soutiens financiers que ses consœurs anglophones, mérite particulièrement notre soutien. Aux jeunes diplômés qui se demandent ce que peut être leur avenir dans le pays, je voudrais dire : « Que vous décidiez de rester ou de partir, gardez présent à votre esprit le Liban. Ne perdez jamais l’espoir de faire quelque chose pour votre pays, même si cela ne vous semble pas évident. J’ai étudié et travaillé longtemps à l’étranger, et n’ai jamais cessé de me poser la question : comment faire pour être utile un jour au pays. J’avais 46 ans en 2005 lorsqu’avec mes associés nous avons finalement trouvé le moyen de réellement développer notre société au Liban. » Je souhaite ajouter que le domaine d’activité de Murex, l’informatique, est le domaine qui plus que tout autre, permettra au Liban de se redresser sur le plan économique tant il est adapté aux caractéristiques du pays ; pour preuve (outre le succès de Murex), j’aimerais citer le nombre toujours croissant de jeunes pousses qui se développent contre vents et marées (Podeo, Gozilla, Lemonade Fashion, etc.) et qui emploient de plus en plus de jeunes libanais au Liban.