Les enjeux pluriels de la responsabilité sociale des universités

Séminaires et conférence à l’USJ
Jeudi 23 mars 2023
Collaborateurs
  • Agence universitaire de la francophonie


Dans le cadre du projet Safir, cofinancé par l’Union européenne et piloté par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), le vice-rectorat aux relations internationales de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), en collaboration avec le Centre de formation professionnelle (CFP), a organisé des rencontres sur la responsabilité sociale des universités, animées par le professeur Marcel Rémon, s.j,, membre du Conseil de l’Université de Namur et directeur du Ceras, le Centre (jésuite) de recherche et d’action sociales.

Le premier séminaire, intitulé « Gouvernance et subsidiarité », s’est tenu le 21 mars 2023 au Campus de l’innovation et du sport (CIS). Le Pr Rémon a mis l’accent sur les principes d’une gouvernance mettant l’humain au cœur du fonctionnement de l’institution universitaire. Il a également exposé les principes de subsidiarité, à savoir la délégation ou gouvernance par objectif, l’évaluation, l’accompagnement et la formation continue. Il a proposé aux participants de s’exercer, via des situations concrètes, au discernement éthique face aux conflits de valeur.

Durant le deuxième séminaire, tenu le 22 mars au CIS et qui a porté sur « Les questions environnementales en lien avec Laudato si’ », l’intervenant a rappelé en bref les défis écologiques et sociaux : changement climatique, perte de la biodiversité, migrations et guerres, pour exposer la véritable révolution mentale que constitue Laudato si’, la lettre encyclique du Saint-Père François en date du 24 mai 2015, sur « le défi urgent de sauvegarder notre maison commune [qui] inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral ». Il s’agit de quitter une vision anthropocentrée de domination du créé pour une vision d’alliance entre l’humain et la création. Le père Rémon a donné des exemples concrets et partagé des idées d’actions pour l’USJ en vue de prendre soin du bien commun.         

Dans son mot d’ouverture de la conférence intitulée « Inégalités, solidarités et inclusions », qui s’est tenue le 23 mars au CSH, le Pr Carla Eddé a précisé que ces formations sont destinées à des cadres administratifs et académiques de l’USJ. Une université qui s’est engagée depuis sa fondation, selon son recteur, le Pr Salim Daccache s.j., à assumer sa responsabilité sociale qui est formalisée actuellement à travers l’adhésion au Pacte mondial des Nations Unies concernant les objectifs de développement durable (ODD) et au référentiel Newman-responsabilité sociale des universités catholiques de la Fédération internationale des universités catholiques.       

De son côté, le directeur du Bureau Moyen-Orient de l’AUF,  M. Jean-Noël Baléo, a invité l’USJ à perpétuer sa vocation première de promotion de la production du savoir, de la recherche et de la formation des étudiants ayant des compétences socio-professionnelles, et qui sont actuellement nécessaires au redressement du Liban. Dans un contexte d’effondrement généralisé, l’USJ, étant une université de référence au niveau national, porte la lourde responsabilité de tirer le système éducatif vers le haut, selon lui. Il lui incombe de préserver la qualité de l’enseignement et la francophonie au Liban et d’extirper de l’esprit des jeunes le poison de l’aveuglement idéologique et la soumission aux idoles politiques de tout bord.                 

Le Pr Marcel Rémon a entamé la conférence en expliquant que la responsabilité sociale des universités (RSU) fait référence au rôle citoyen de l’université, au-delà des fonctions qu’elle assume dans la création et la diffusion des savoirs. « La RSU, ajoute Rémon, n’est pas le service à la société qui est la troisième mission de toute université, mais elle est la recherche du bien commun. »

« Le référentiel catholique en matière de responsabilité sociale, précise-t-il, est le référentiel Newman, fruit d’un travail collaboratif de deux ans qui comprend environ 160 indicateurs et une vingtaine de critères regroupés dans quatre domaines : les modalités de gouvernance des établissements d’enseignement supérieur (EES), les démarches visant à garantir le respect de l’environnement, les pratiques de l’université en tant qu’employeur et lors du déploiement de ces trois missions, et la cohérence d’ensemble par rapport à l’identité de l’institution. » 

Le référentiel Newman s’inspire, toujours selon Rémon, des quatre références apostoliques universelles : montrer la voie vers Dieu à l’aide des exercices spirituels et le discernement, travailler avec les autres pour la sauvegarde de notre maison commune, faire route avec les pauvres et les exclus ainsi qu’avec les personnes blessées dans leur dignité, en promouvant une mission de réconciliation et de justice et accompagner les jeunes dans la création d’un avenir porteur d’espérance. 

Il s’inspire aussi des principes de la doctrine sociale de l’Église qui sont : la dignité de la personne humaine, le bien commun, la subsidiarité, la justice sociale, la destination universelle des biens, l’option préférentielle pour les pauvres, la solidarité et la fraternité universelles.

Le bien commun dans la pensée sociale de l’Église est « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée », selon le pape François dans la lettre Laudato si’, citée par Rémon. « Le principe du bien commun, poursuit le pape, devient immédiatement un appel à la solidarité et à une option préférentielle pour les plus pauvres. (…) La notion de bien commun inclut aussi les générations futures. On ne peut plus parler de développement durable sans solidarité intergénérationnelle. »

Ce bien commun dans l’Église a aussi des caractéristiques: il n’est pas l’intérêt général, ni quelque bien partagé. « Tous les textes parlant du bien commun, poursuit le directeur du Ceras, l’associent à une action, une détermination ferme et persistante. Le bien commun est un horizon, une promesse, un combat, même s’il est incarné dans un bien partagé par tous les hommes, et en particulier les plus vulnérables. Par exemple, la planète n’est pas « le » bien commun, c’est prendre soin de la terre qui est le bien commun. Garder une maison propre et accueillante, pour les habitants, c’est à la fois un combat et une promesse et une promotion d’un travail digne, dignifiant et respectueux de la planète. »  

Les trois temps du chemin vers le bien commun sont, selon Rémon, un cap constitué par le rêve de fraternité universelle avec autrui, la planète, soi-même et Dieu ; un ancrage, l’attention permanente aux plus pauvres et un chemin pédagogique : l’exigence de dialogue dans la vérité.

Et Rémon de préciser que « les facteurs qui favorisent actuellement les inégalités,  sont, selon les travaux des économistes Thomas Piketty, John Galbraith et Branko Milanovic, la technologie qui renforce les plus qualifiés ; l’ouverture et la mobilité qui accélèrent la délocalisation de la main d’œuvre peu qualifiée ; la politique qui, étant aux mains des puissants, renforce le pouvoir des « énarques » ; la prime de citoyenneté ou la prime de naissance : selon l’endroit ou la famille où l’on nait, notre destin sera marqué substantiellement ; et le capital qui attire le capital, en particulier en temps d’incertitude et de crise ». « Les diminutions des inégalités dans l’histoire occidentale, ajoute le directeur du Ceras, ont eu comme origine les guerres par le biais des impôts de guerre puis de reconstruction et les révolutions avec, par exemple, les expropriations, la fin de l’esclavagisme, la perte du pouvoir de l’Église, la révolution industrielle, etc. »

Comment sortir de l’inégalité ? Au cours de sa carrière de mathématicien, Rémon travaillait sur deux concepts : l’addition et la maximisation. Le premier mesure la quantité d’objets, efface leur spécificité et leur unicité. Tous sont égaux mais interchangeables. C’est le règne de l’avoir et de la connaissance. Ce premier concept est apparenté à l’idée de l’égalité. Le deuxième concept organise et trie les objets selon un ordre choisi. Chacun est différent mais est comparé à autrui.  C’est le règne de la relation mais aussi de la compétition. Ce concept est associé à l’idée de la liberté. « La solution réside, selon Rémon, dans l’algorithme EM, un programme conçu comme un escalier dont les marches sont alternativement la moyenne de nos données et le choix de la direction ayant le maximum de chance. On est dans le registre de la fraternité. »

Cet escalier en colimaçon n’est autre que la capitalisation éducative. Les indicateurs de cette capitalisation, les examens par exemple, introduisent une sorte de linéarité pédagogique, souvent incompatible avec la complexité de la réalité et les allers-retours entre le temps du « comprendre » et celui de l’engagement. Ce n’est que dans l’action que certains comprennent les cris des plus pauvres ou de la planète. Ce qui est semé à une étape peut germer à un autre moment.

La conférence a donné lieu à un beau moment d’échanges sur une question centrale aux yeux de l’Université sur sa mission citoyenne, tant au niveau local que global.

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