10 000 Vies en Une : Les Conseils inédits de Nada Yafi, interprète d'élite

10 000 Vies en Une : Les Conseils inédits de Nada Yafi, interprète d'élite

Mars 2025

 

Lorsque Nada Yafi s’est avancée sur la scène de l’Institut français du Liban, la salle était suspendue à ses paroles. Ancienne interprète officielle à l’Élysée et diplomate chevronnée, elle n’a pas seulement raconté son parcours, elle a livré une véritable leçon de vie aux jeunes passionnés de langues qui sont venus assister à la cérémonie du Prix lycéen de la traduction francophone 2025. Avec humilité et humour, elle a partagé ses conseils sur l’interprétation, la traduction et les défis du métier à l’ère de l’intelligence artificielle.

 

Dans l’imaginaire collectif, l’interprète est souvent perçu comme une personne assise dans une cabine vitrée, traduisant à une vitesse fulgurante des discours complexes. La réalité, selon Nada Yafi, est encore plus exigeante. « L’interprète travaille sous pression. Il doit être rapide et précis, car il n’a pas droit à l’erreur. » Elle évoque son quotidien lorsqu’elle traduisait les discours des présidents Jacques Chirac et François Mitterrand : chaque mot comptait, chaque nuance pouvait changer le cours d’une discussion diplomatique. « Contrairement aux traducteurs qui ont le temps d’affiner leurs phrases, nous, interprètes, devons rendre un message instantanément, en captant non seulement les mots, mais aussi l’intention et l’émotion derrière. »  C’est un véritable sprint intellectuel qui demande une concentration extrême. Mais la difficulté ne réside pas seulement dans la rapidité d’exécution, il faut aussi comprendre le contexte. « Un mot ne veut pas dire la même chose selon qui le prononce, où il est dit et dans quelles circonstances. » Elle illustre cette idée avec une anecdote amusante : « Un jour, un chef d’État arabe a répondu ‘Inshallah’ à une question. J’ai traduit par ‘Si Dieu le veut’, mais en réalité, selon les cultures, cette expression peut signifier un vrai oui, un peut-être ou un non déguisé. J’ai compris mon erreur quand Mitterrand a répondu avec humour : ‘Je ne pense pas que Dieu aura une objection.’ » Ce moment l’a marquée, un bon interprète ne se contente pas de traduire, il doit deviner ce qui est réellement sous-entendu.

"Intéressez-vous à tout" : La curiosité, clé de la réussite

Mme Yafi a souligné que la curiosité intellectuelle est une qualité essentielle pour tout interprète ou traducteur. « Vous devez vous intéresser à tous les sujets possibles et imaginables : la politique, l'économie, l'écologie, la culture... Tout peut se retrouver dans votre travail. » Elle a expliqué que la préparation est cruciale : « Avant chaque conférence, avant chaque visite officielle, il faut préparer soigneusement un dossier épais. Comprendre les enjeux, les objectifs, la logique des interlocuteurs. » Et d’ajouter : « La traduction ne se limite pas aux mots. Il faut comprendre le but d'une réunion, le raisonnement qui anime chaque interlocuteur. Vous devez vous mettre à leur place, incarner leur discours. »

 L’intelligence artificielle ? « Bête »

Si l’intelligence artificielle fait aujourd’hui partie des outils du traducteur, Nada Yafi est catégorique : « La machine ne comprend pas l’ironie, l’humour ni les nuances culturelles. Elle ne saisira jamais pourquoi ‘lumière’ peut vouloir dire ‘éteignez la lumière’ au début d’un film, et ‘allumez-la’ à la fin. »

Elle rappelle que la technologie peut aider en matière de glossaires et de traduction automatique, mais qu’elle ne remplacera jamais la finesse et l’intuition humaine.       « Un interprète, c’est avant tout une oreille et un esprit capable d’analyser des enjeux bien au-delà des mots. » Elle met en garde les jeunes traducteurs contre la tentation de s’appuyer aveuglément sur les outils automatiques, « la machine est un excellent assistant, mais elle reste bête. » Elle cite l’exemple d’une conférence où un discours préenregistré a été traduit automatiquement : « Tout semblait parfait… jusqu’au moment où une blague subtile a été complètement ratée par l’IA, provoquant un silence gêné au lieu d’un éclat de rire. »

"Vous êtes l'avenir du Liban"

Madame Yafi a adressé un message fort aux jeunes : « Vous êtes l'avenir du Liban. Vous représentez l'espoir d'un pays qui a tant à offrir. » Elle les a encouragés à poursuivre leurs rêves avec passion et détermination : « Ne cessez jamais d'apprendre, de pratiquer, de vous intéresser au monde qui vous entoure. Soyez humbles, intéressez-vous à tous les sujets, à toutes les personnes. Ne regardez pas les titres ou les statuts, mais ce que les gens ont à vous apporter. » Elle a ajouté : « Je ne regrette rien de ma carrière. J'ai pris des risques, j'ai changé de voie, mais chaque étape m'a appris quelque chose. Vous aussi, osez prendre des risques, mais faites-le avec passion et curiosité. Intéressez-vous à tout et à tout le monde. Plus vous êtes curieux, plus vous serez de bons traducteurs et interprètes. »

Nada Yafi a conclu son intervention en évoquant son attachement au Liban et à la langue arabe, rappelant son engagement pour préserver et moderniser son usage :     « L’arabe est une langue riche, vivante et en constante évolution. Ceux qui la considèrent figée se trompent. Comme toute langue, elle s’adapte à son époque. »

Les conseils de Nada Yafi, tirés de ses années d'expérience au plus haut niveau, résonnent comme un guide précieux pour les jeunes traducteurs et interprètes. Entre gestion du stress, curiosité intellectuelle et humilité, elle a tracé une voie claire pour réussir dans un monde où la technologie évolue rapidement. Mais surtout, elle a rappelé une vérité essentielle : « La machine peut être bête, mais l'humain sera toujours indispensable. » Des mots qui resteront gravés dans l'esprit de tous ceux qui aspirent à suivre ses pas.

 

                                                                                    Hiba Noureddine

                                                                                     M2 Traducteurs-Rédacteurs