L’humanisme pour résister à l’effacement de l’humain par la technologie

Conférence prononcée par M. Jean-Michel Besnier, professeur émérite de l’Université Paris Sorbonne et auteur de plusieurs ouvrages sur le posthumanisme.
Mercredi 30 janvier 2019
Campus des sciences humaines

La conférence prononcée, le mercredi 30 janvier 2019, par M. Jean-Michel Besnier (professeur émérite de l’Université Paris Sorbonne) et auteur de plusieurs ouvrages sur le posthumanisme, est le fruit de la collaboration entre l’Institut français, la Chaire d’anthropologie interculturelle et le Centre d’études Michel Henry relevant du Département de philosophie.

Dans sa conférence, M. Besnier, qui a commencé par juger l’interrogation sur l’humanisme « matricielle » à l’heure où l’on parle transhumanisme, a procédé, d’abord, à un rappel de ce qu’on entend par humanisme et a évoqué les critiques que celui-ci a suscitées. Puis, il a affronté la question essentielle qui est celle de savoir pourquoi, actuellement, certains auteurs qui se disent transhumanistes affirment que l’humanisme est définitivement dépassé. Enfin, il a expliqué les raisons pour lesquelles, selon lui, le recours à l’humanisme s’impose. Afin de montrer l’intérêt de ces différents moments de son discours, nous allons, brièvement, préciser leur contenu.

L’humanisme : valeurs et critiques

L’humanisme est, d’abord, selon M. Besnier, un ensemble de valeurs comprenant l’optimisme (quant à la bonté de la nature humaine), le volontarisme (qui fait croire qu’on peut résister au destin) et le progressisme (pour lequel l’avenir ne peut être que meilleur que le passé). Quant au courant de pensée qui porte ce nom, il est, d’abord, a assuré le conférencier, celui de la Renaissance qui, d’une part, a voulu rompre avec « l’obscurantisme » du Moyen-Âge et avec le rapport passif que celui-ci avait à la tradition (comme l’attestent les oeuvres de Montaigne et de Machiavel) et qui, d’autre part, a manifesté sa confiance dans le savoir humain. Contre cet humanisme, de nombreuses critiques ont été formulées, les unes théoriques, relatives à son abstraction et à la fausse image de l’humain qu’il a véhiculée (et que dénoncèrent par Marx, Nietzsche, Freud et les sciences humaines), les autres factuelles reposant sur les atrocités dont fut témoin le XXème siècle avec les deux Guerres mondiales et le totalitarisme, notamment.

Le transhumanisme et la dématérialisation de l’humain

Aujourd’hui, a soutenu le conférencier, domine l’idée de « la plasticité » de l’humain. Mais, alors que certains considèrent que l’homme n’est pas différent des animaux (et même le plus prédateur d’entre eux), d’autres prédisent sa dématérialisation. C’est ainsi que dans les technopôles, les transhumanistes jugent que les sciences et les techniques sont susceptibles, à plus ou moins court terme, de satisfaire toutes nos aspirations dont celle d’une humanité sans risques (rendue possible grâce à sa fabrication), sans douleur, sans maladie, sans vieillissement, sans mort (par la régénération des organes ou par la duplication du cerveau). Une telle promesse, du point de vue du conférencier, signifie la fin de l’humain et sa transformation en simple « support de données » sans vie intérieure, face à des machines de plus en plus puissantes.

L’humanisme comme facteur de résistance

La situation actuelle, très périlleuse pour les valeurs et idéaux humanistes, est aussi, a reconnu M. Besnier, le résultat de notre servitude volontaire. C’est pourquoi, s’est-il hâté d’ajouter, notre attitude doit se convertir en résistance. Loin que cela signifie, pour lui, la condamnation aveugle de la technologie, il déclare qu’ « il ne s’agit pas d’être technophobe », mais de retrouver « le sens commun » permettant de distinguer entre les usages bénéfiques et les usages pernicieux de la technologie. Et, pour donner des assises solides à cet effort de discrimination, il a montré ce qui, dans le spécifique humain, pouvait servir d’arme de survie.

• Le signe contre le signal

La différence entre l’homme, l’animal et la machine se situe, a rappelé le conférencier, au niveau de la fonction symbolique dont les vertus apparaissent à différents niveaux. Ainsi, grâce au langage, l’homme peut prendre des distances par rapport au réel, dire ce qui n’est pas, ce qui pourrait être, ce qui a été ; grâce à son intelligence, également, il peut ne pas céder aux automatismes et, enfin, il peut refuser les impératifs de l’utilité (comme dans l’art). Or, par ces trois vertus, a assuré l’auteur de L’Humanisme déchiré, « nous sommes en porte-à-faux avec la situation technologique que nous développons » et qui, contrairement à ce qu’on croit, ne favorise pas la communication, mais l’échange de signaux (comme dans le règne animal). Se fondant sur ce raisonnement, il a lancé, alors, un double appel : Soyons intelligents et résistons aux machines, soyons humains et résistons aux impératifs de consommation qu’entretiennent les machines en suivant des profils qu’elles identifient et qu’elles nous retournent.

• La foi en un anti-destin

En conclusion, M. Besnier a établi un lien entre le premier et dernier moment de son discours en affirmant que la posture de résistance que doit adopter l’humanisme d’aujourd’hui n’est pas différente de celle des humanistes du XVIème siècle qui pensaient qu’ « il ne fallait pas se laisser imposer l’histoire comme un destin ».

Un débat avec un public nombreux et attentif a suivi la conférence. Il a permis de répondre aux questions suivantes : la possibilité du transhumanisme est-elle déjà présente dans l’humanisme avec l’idée de la malléabilité humaine (comme dans la pensée de Pic de la Mirandole) ? La pulsion de connaissance de l’homme ne réussira-t-elle pas à venir à bout de toute résistance et de tout interdit, et ne rend-elle pas, par suite, nécessaire d’envisager une transcendance qui, seule, aurait la force et l’autorité de la juguler.